Comment un film finit-il par démontrer le contraire de ce qu’il annonce ? Ceux qui restent s’articule autour d’une question difficile : peut-on encore tomber amoureux après la perte de l’être aimé, voire, plus vicieusement, quand il n’est pas encore tout à fait mort ? Démonstration : la rencontre de Bertrand et Lorraine dans un hôpital, lieu autarcique, avec ses résidents, ses boutiques, ses restaurants, ses visiteurs. Bernard et Lorraine sont de ceux-là, des touristes, qui viennent quotidiennement visiter leur conjoint respectif. Chacun d’eux franchit une porte, nous restons sur le seuil. Le malade, l’être aimé, tout au long du film demeure pudiquement caché ou – tabou ? Bien visibles en revanche les prémices de l’amour, les premiers mots, les premiers gestes, les rires et les embarras soudains, les hésitations. La carte du tendre standard sur laquelle la mort porte son ombre, en contrepartie de laquelle tous les clichés sont permis, voire encouragés, par souci de réalisme, partant du principe que la représentation de petites gens sans intérêt facilite l’identification et rend le drame plus poignant. Mais la médiocrité psychologique ne rend pas un personnage sociologiquement consistant, au contraire. Surtout, ce déséquilibre entre la surreprésentation d’une relation et la dissimulation de l’autre a pour effet certain de rendre la seconde inexistante. Le front plissé de Bernard et ses yeux tristes ne suffisent pas matérialiser son amour pour sa femme. Les personnalités contrastées, l’introverti face à l’extravertie, nient d’autant plus cette dimension hors champ qu’elle reproduisent le schéma nominal d’une banale comédie romantique. Au final, on se retrouve devant une romance conventionnelle, avec ses petites contrariétés, ses touchants scrupules. Le scénario, qui évite les aspérités et contourne sensiblement tout conflit moral, en perd son sujet.
Ceux qui Restent, Anne Le Ny