L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford : ce titre a priori nous renseigne sur le dénouement et l’engrenage du film. Avec sa facture ancienne rappelant le chapitrage des livres d’Alexandre Dumas, cette annonce signale d’un seul trait que l’essentiel, l’action, est pour elle superflu. Il se passe peu ou presque rien, dans cette histoire de hors-la-loi légendaire qui, menacé de folie, rencontre son double meurtrier. Ce rapport, traité sur le mode de la menace, aurait pu donner lieu à un banal suspense psychologique. Le face à face, sans être éludé, se dissout dans une contemplation immobile, comme au-travers d’un miroir. La temporisation de l’assassinat n’est pas génératrice d’angoisse, mais d’apaisement. Il ne se passe rien, en effet, et l’unique mouvement décelé est le passage du temps, le rythme des saisons. D’image en image, la nature s’étale, magnifique et froide, photographiée, non pas filmée, – vide, elle aussi. Si l’angoisse est partout latente, elle n’a plus besoin maintenant d’éclat spectaculaire pour se manifester, elle tolère même le voisinage de l’ironie. Ainsi des violents emportements de Jesse James, déconstruits aussitôt par un rire malade, tourné avant tout contre lui-même. La peur, c’est au meurtrier de la ressentir, le lâche Robert Ford. Il laisse à son idole tout le temps nécessaire à l’apprentissage de la mort. La révolte et la tristesse font place à l’acceptation. Une déformation optique brouille les bords du cadre, le diaphragme s’ouvre à peine, tel des yeux mi-clos ; le monde se noie dans le rêve. Insensiblement, l’existence-même de Robert Ford devient douteuse. Une fois son geste fatal accompli, son personnage tourne à vide, désarticulé par l’autoparodie, il se traîne jusqu’à sa propre disparition, logique, elle aussi. Un double suicide.
The Assassination of Jesse James by the Coward Roberd Ford, Andrew Dominik (2007), avec Brad Pitt et Casey Affleck (photo)
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