C’est en écoutant l’enregistrement d’un Commentaire des Vendredis de la Philosophie, que je me suis arrêtée sur ces paroles, prononcées par Raphaël Enthoven.
« Les philosophies ne sont pas des points de vue, mais des points de vie ; des lieux, des affects d’où la pensée s’épanouit. Chaque philosophe est un cataclysme nouveau, un caractère nouveau, un système ou un anti-système qui porte avec lui tout un monde inédit, limpide ou jargonnant, susbtil, partial, total, fragmentaire, inachevé.
Peu de disciplines donnent autant que la musique ou la philosophie, le sentiment de la différence entre les êtres. Du coup, toute coïncidence est un miracle. Quand on lit de la philosophie, quand on passe des journées entières d’un système à l’autre, aucune expérience n’est aussi émouvante et donc instructive que celle d’une communauté d’intuition entre deux penseurs, en particulier quand ceux-ci ne l’admettent pas. Nietzsche et Jankelevitch, par exemple, ces jumeaux qui s’ignorent et dont le second déteste le premier, ont évidemment le même goût de l’innocence et de la musique. Montaigne de son côté, est une belle âme qui se prend pour un corps. Pascal quant à lui, est un cerveau puissant qui se prend pour une âme. Mais l’un et l’autre s’entendent à remettre l’homme à sa place et l’un et l’autre savent que l’on peut avoir la tête qui tourne même quand on a la raison pour soi.
La philosophie est pacifique. A la fin d’une vérité, elle envisage la vérité d’en face, ou d’à côté.
La philosophie résonne. Les penseurs sont des échos philosophants qui se répètent et se contredisent selon l’humeur, ou l’époque. Ce n’est donc pas quand on s’oppose, mais quand on épouse, qu’on pense. Rien n’est plus ridicule que l’affrontement sempiternel de deux visions du monde.
Si Michel de Montaigne est seul de son camp, c’est qu’il accepte tout, qu’il peut tout entendre.
Personne ne pense mieux ni plus singulièrement que l’homme qui pille plus qu’il ne conteste les paroles et les livres qui le précèdent. Penser par soi-même est, dit-on en général, la grande récompense de l’ascèse philosophique. Peut-être. Mais penser par soi-même c’est surtout le chemin le plus sûr pour penser à la fois tout seul et comme tout le monde. C’est une autre affaire, en revenche, bien plus difficile, plus amusante, plus drôle, plus intelligente enfin, de penser par autrui. »
Je ne finirai jamais de m’extasier sur les émissions de France Culture et, en particulier, sur celles que produit Raphaël Enthoven. Souvent, j’écoute les Nouveaux Chemins de la Connaissance. Il possède cette qualité rare de caresser le texte, philosophie ou littérature, comme une matière vivante, mieux, comme la vie même, vibrante, féconde, généreuse. Il propose un assortiment de citations, toujours judicieusement choisies, que l’on découvre différemment lues à haute voix, éclairées, accentuées, modulées, interprétées, goûtées, débarrassées de l’arrière fond bourdonnant que sont nos pensées, lorsqu’on lit en soi et que les phrases d’autrui font concurrence à notre rêve intérieur. Enfin, avec ses invités, il offre un commentaire qui épanouit le livre, tourné vers l’extérieur, parfois inattendu, parfois inespéré, grâce auxquel on s’aperçoit que l’idée n’est pas cette pauvre chose morte ou figée que l’on croit, mais un organisme palpitant, qui n’attend que notre attention pour se manifester, se laisser comprendre, s’exposer, se transformer.
Les Vendredis de la Philosophie, Montaigne : La voie du milieu – HD3850
(Les photographies, comme toutes celles de ‘Ici et ailleurs‘, sont de Vincent.)
Intéressant blog que je découvre ce soir (même si je n’ai pas le temps de m’y attarder pour cause de dissertation de philosophie) !
Merci pour ce passage de Raphaël Enthoven, qui est toujours un bonheur à écouter comme à lire (son livre La philosophie – un jeu d’enfant est un régal) et me rappelle les joies que la philosophie peut créer ! ;)
Merci Amélie ! Tu me donnes envie de lire ce livre de Raphaël Enthoven… en fait, j’avais un peu peur, c’est bête, qu’il ne soit pas aussi bien à l’écrit qu’à l’oral.
Ton blog est impressionnant : j’y retournerai…
De rien ! en fait je n’écris plus trop sur ce blog, je l’ai délaissé au profit de celui-ci http://motsetphotos.wordpress.com/, beaucoup plus personnel certes mais dont j’avais plus besoin…
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Je n’aime pas trop ce personnage brillant et si beau. Je l’ai pourtant bien écouté. Pour moi c’est du Michel Onfray très raffiné. Tout dans la séduction et on sent l’hédonisme derrière. Il est très beau, intelligent, il aime les jeunes filles. J’avais parié que tu étais une fille. Gagné..!
Arachnimodo : je suis une « fille », incontestablement, mais ce que j’ai écrit sur Raphaël Enthoven se base sur les émissions que j’ai écoutées… à la radio. Sans le voir. Sans m’intéresser au personnage médiatique ou autre. Cela s’arrête là. Quant à son hédonisme, tu as peut-être raison, je l’apprécie surtout en tant que médiateur de la pensée des autres. Du reste, j’aurais pu parler de François Noudelman, des Vendredi, qui m’enchante tout autant!
Quoi qu’il en soit : intéressant peudo, Arachnimodo…
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