Méfions-nous de l’idéalisme : il n’est souvent que l’expression d’un effroi face à la vie. Evitons de lui accorder l’intensité qu’il subtilise à nos actes, de lui sacrifier le sentiment dont il nous prive, de lui concéder la beauté qu’il ôte à notre regard, de lui concevoir plus de volupté qu’il ne nous en offre en retour ; évitons de nous consumer en cendre froide sans avoir jamais connu l’embrasement.
Marguerite aime porter les robes de princesse qu’elle crée à ses heures perdues, si différentes des sobres tabliers de cuisinière imposés par son travail ; les forêts et les lacs ont sa préférence lorsqu’elle veut s’enfuir, car elle sait qu’une maison peut être plus mortelle qu’un cimetière. Blanche cherche la paix dans la prière et les tranquillisants, dans le sommeil et l’oubli. Dolores s’enivre d’odeurs et de parfums, fleurs et pourritures qui font renaître en elle les vagues sensations du plaisir perdu. Lucien, devenu impuissant, confond fidélité et abjection ; Louis, dans une maison remplie d’animaux empaillés, regarde sans toucher, désire en se cachant. Ce monde froid s’anéantit dans la laideur. Vidés, épuisés, les corps privés de jouissance n’ont plus d’autre exaltation que celle du meurtre. S’épier, se parler, danser même, sont les modalités nouvelles de la solitude. Les rêves se dégradent en fantasmes.
Aux hommes qu’elle rencontre, Marguerite pose toujours cette misérable question : Auriez-vous pu m’aimer ? Différente en cela de son héroïne, Lady Chatterley, dont elle relit l’histoire à longueur de temps, qui, impérieuse, murmure vous m’aimerez, je sais que vous m’aimerez, elle précipite l’amour dans l’inaccomplissement, s’en débarrasse dans un non-lieu. Lointaine, désespérée, objet inconscient de tous les désirs, pas plus que les autres elle ne se révèle apte à l’existence.
Difficile, déplaisant, mélange de stylisation esthétique et de naturalisme désagréable, Coupable est un film que l’on est tenté de quitter très vite. Rien ne peut nous y rattacher, ni les personnages ni l’histoire. Tout reste à niveau, c’est-à-dire très bas, médiocre ; la poésie n’élève pas le cœur mais elle l’enferme un peu plus dans son habitacle étriqué. Pour cela, comme le revers ingrat d’une sensibilité, Coupable vaut sa très grande peine. Le jeu détaché d’Hélène Fillières s’emboîte avec précision dans celui, instinctif mais très juste, de Jérémie Rénier. En se reposant sans inquiétude dans cette atmosphère grise, on finit par saisir les nuances infimes de ces êtres défaillants ; l’émotion est à la mesure de celle qui leur fait tant défaut.
Coupable, de Laëtitia Masson
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