Amère influence

Pourquoi regarder cela? Curiosité et appréhension, l’état initial stagne et s’enlise dans le déroulement d’une morne journée, d’un mutisme fétide qui se répand dans l’image, goutte à goutte, lancinant.Tôt le matin, une femme achète un flacon de pilules, elle s’installe dans un magasin grisâtre où personne ne vient plus, elle fume, elle s’endort, le soir tombe  elle s’occupe mécaniquement de ses enfants, désordre contre vide, anarchie contre apathie. Les jours se succèdent, atones ; la société opère simultanément son travail d’exclusion. La femme se délabre, les enfants tentent de combattre l’emprise de la mort par une sauvagerie aveugle et sourde. Pourquoi regarder cela ?

L’émotion. Le cadre froid, austère, la distance maintenue, l’ignorance des causes, de la nature de la dépression – cette façon de déjouer l’empathie, d’imposer une réalité blême, sans grâce, la substitue à une identification beaucoup plus violente, à mon avis, qui se produit dans la lenteur et l’occupation du vide. La misère affective abîme ses témoins. Il est étrange de choisir un sujet aussi désespéré, aussi hermétique pour un premier film, plus étrange encore de le qualifier de réussi. Qu’y a-t-il à penser de ce tableau désolé ? Rien. Une émotion trop intense, douloureuse,  stérile probablement. Il n’y a rien à faire, rien à dire, rien sans doute à retirer d’une telle histoire. Encore une fois, je me demande : pourquoi regarder cela?

Peut-être s’agit-il simplement d’un manque de repères, d’une angoisse, sincèrement je ne sais pas. Bien sûr je pourrais reconnaître d’emblée, sans trop réfléchir, que oui, c’est un film réussi, bien fait, etc, mais cela me choque d’écrire cela. Il me semble que je devrais voir autre chose, comprendre différemment, mais cette idée est aussi sombre que difficile.

Le titre est-il un hommage à Une femme sous influence, de John Cassavetes ?

La Influencia, Pedro Aguilera

Des enfants tragiquement livrés à eux-mêmes, c’est aussi Nobody Knows, de Hirokazu Kore-Eda

Publicité

La vérité est étrange

« La beauté convulsive sera érotique-voilée, explosante-fixe, magique-circonstancielle, ou ne sera pas. » André Breton, L’Amour Fou (1937)

Sans rêve il n’est pas d’amour ; sans amour il n’est de rêve – ainsi s’énonce la pensée de Peter Ibbetson et son étrange histoire. Son destin fait mentir l’irrémédiable, bien qu’il soit d’emblée marqué par une perte : celle de sa mère, une longue maladie et la mort, suivie de celle du foyer, un jardin merveilleux et  une petite voisine, compagne de jeu mutine, complice, source originelle de l’émotion, colère ou ravissement. Paradis perdu, ce monde de l’enfance se transforme en rêve dès l’instant où, malgré les larmes, un oncle inconnu l’emporte au loin, dans une autre ville, dans une autre vie. Il n’oublie pas, pourtant ; architecte au talent reconnu,  homme de qualité, il s’ennuie, son passé lui pèse, vague et permanente insatisfaction. Nulle femme  jamais ne l’attire, sinon la Duchesse, qu’il rencontre enfin, par hasard ou nécessité. Croyant avoir enfin réussi à s’affranchir de son obsession d’enfance, c’est elle précisément qu’il retrouve là, dans un autre jardin, mariée à un autre homme. Rouages d’une tragédie ordinaire : le triangle impossible, le meurtre, et l’enfermement. Une autre vie ailleurs: le rêve peut reprendre.

Adapté d’un roman de George Du Maurier,  ce film, dont le public américain se détourne, enthousiasme les surréalistes français. Fait plus extraordinaire encore que l’assentiment de ce groupe  hétérogène et capricieux, Peter Ibbetson a très bien vieilli. La réussite d’un mélodrame tient souvent du miracle : de la sensibilité à la sensiblerie, du lyrisme au pathos, la démarcation n’est jamais clairement définie, ni par l’époque ni par l’esthétique. L’avantage de Peter Ibbetson est d’avoir été conçu sur base d’un contre-emploi : Henry Hathaway et Gary Cooper étant tous deux rattachés au cinéma d’aventure, ils imposent  un traitement sobre et réaliste. Des scènes courtes et bien découpées induisent un style elliptique qui soutient avec un minimum d’effets le basculement du rêve à la réalité. Les choses les plus étranges sont vraies, et la vérité est étrange : ces mots prononcés par l’héroïne s’appliquent littéralement à la mise en scène. L’imaginaire n’est jamais aussi puissant que lorsqu’il est sollicité – une image forte laisse entrevoir ce que l’on peut soi-même concevoir. Dans Peter Ibbetson, tout est d’une grande candeur. Une lumière surnaturelle  jaillit de l’intérieur- c’est une simple lumière; des champs de fleurs, des paysages montagneux, des forêts – rien qui étonne vraiment l’œil. L’union spirituelle des amants dans un monde qu’ils constituent eux-mêmes et définissent par leur volonté propre rappelle l’idée que l’amour est un sentiment  infime ou infini – à la mesure de ceux qui le conçoivent.

Peter Ibbetson, de Henry Hathaway, avec Gary Cooper (1935) – une belle édition avec, en complément : commentaires de Bertrand Tavernier et Noël Simsolo, portrait de Henry Hathaway par Patrick Brion.

Filmographie de Henry Hathaway (1898-1985)

Filmographie de Gary Cooper (1901-1961)

George du Maurier (1834-1896) est aussi le grand-père de la romancière Daphné du Maurier (1907-1989), reprise au cinéma par Hitchcock :

Jamaica Inn (1939)

Rebecca (1940)

Les Oiseaux (1963)

Martha flamboie !

Impétueuse, follement expressive,  trop visible encore lorsqu’elle se dérobe, sa chevelure la trahit, sinon son visage. Martha Argerich : la musique réconcilie et surexpose, isole, relie, offre et astreint.

Evening talks : ce  formidable documentaire ne dit rien, ne montre pas, mais il fait entendre et donne à voir. En guise de biographie – des bribes de souvenirs et des merveilleux moments musicaux ; en guise de portrait – un visage nu filmé au plus près, un regard, un sourire et des mots qui se bousculent, des idées qui se forment et se dissipent. Martha Argerich, née à Buenos Aires en 41, est une très grande pianiste, et cela en dépit d’elle-même. La musique est un don, quelque chose qu’elle reçoit  très jeune dans les doigts, dans l’oreille, qui la capture aussitôt, l’isole enfant prodige, désormais redevable. Entre la petite fille timide et terrorisée sur scène et cette femme ombrageuse qui refuse contrats et programmes, une barrière s’est imposée, indispensable,  permettant la reprise de soi par une forme de sauvagerie nécessaire. L’art ou son exercice font craindre la dépossession. Quand elle joue, cela doit être parfait. Sans concession, sans exception. On la voit faire corps avec le piano, partant des mains, un mouvement qui l’anime tout entière. D’ailleurs, il lui est presque impossible d’en parler : elle dit d’un compositeur je crois que lui il m’aime, et d’un autre il me joue des tours, ou encore parfois on s’entend bien. Des sentiments, du cœur et de l’énergie : c’est surprenant : les artistes si souvent intellectualisent, expliquent, dissertent. Intuitive,  étrangère aux théories, elle crée sur le moment, avec ce qu’elle ressent, incarnation plus qu’interprétation. Pour autant, plus exigeante et inassouvie, elle ne se repose jamais sur une partition, craignant de sombrer dans l’auto-parodie, elle cherche, creuse, retourne et repart, attentive, extrêmement réceptive.  Épiphanie de l’instant –  défier la difficulté d’être, se mettre en osmose avec l’instabilité des choses, connaître l’éblouissement de l’imprévu . La musique comme un miracle, jamais deux fois la même chose, sinon c’est mourir!

Cette quasi-brutalité ne heurte ni n’agresse tant Martha est chaleureuse et physiquement tournée vers le dehors. Refusant désormais de jouer seule, elle met sa notoriété au profit de jeunes talents. Sur scène, ce contact lui est indispensable ; le retrait ne la dérange pas. Sans doute l’angoisse des débuts continue-t-elle de la hanter : affronter le public sans le voir, elle très myope refusant de mettre ses lunettes, d’autant plus seule qu’entourée d’inconnus. Cela aujourd’hui elle a le pouvoir de ne plus l’accepter, et de venir à son piano non par obligation mais par plaisir.

Pour le contraste, je repense à Mademoiselle, documentaire sur Nadia Boulanger, qui, il y a déjà un siècle, enseignait le piano à Paris. Il est significatif que, quoique très différents, ces films n’abordent ni l’un ni l’autre le domaine privé. Ils ont en commun de parvenir jusqu’au seuil sans transgresser l’intimité de ces femmes, toutes deux farouches, réservées et rares. Je replace donc, à la suite de ce texte,  celui sur Nadia, écrit il y a déjà quelques mois.

Martha Argerich – Evening Talks, Georges Gachot

Martha Argerich – discographie subjective

lien 1: concerto pour piano de Robert Schumann

lien 2: concerto pour piano de Frédéric Chopin

lien 3: concerto pour piano Tchaïkovsky et Prokofiev

lien 4: concerto pour piano n°3 Rachmaninov

lien 5: concerto pour piano Ravel

lien 6: fantaisies op. 12, Schumann

lien 7: Bach – Partita, suite anglaise, toccata

lien 8: Chopin – Préludes…

lien 9: Schumann – Scènes d’enfants

lien 10: Sonate pour 2 pianos – Bela Bartok

lien 11: concerto piano Dmitri Chostakovitch

lien 12: Nuits dans les jardins d’Espagne – Manuel de Falla

lien 13: Sonate pour piano Franz Lizst

Toute la discographie

Nadia écoute

Pour la voir, il ne faut pas regarder son visage, mais ses mains. Mobiles, déliées, elles semblent jouer sans cesse sur un piano invisible, une musique intérieure, idéale. Le visage est neutre, opaque, et son unique ouverture, la lumière du regard, disparaît derrière d’épaisses lunettes. Nadia Boulanger, le réalisateur l’a bien compris dont la caméra s’attache plus à la gestuelle qu’à ce masque impénétrable, ne se donne pas au portrait psychologique; seul transparaît le professeur de piano. Parfois, on en vient à s’interroger, a-t-elle existé pour elle-même, en dehors de ce travail ? Son temps et son espace – ses « mercredis » où elle recevait chez elle une cinquantaine d’élèves – sa profonde implication, l’intensité de sa concentration, y avait-il encore, dans sa vie, une place pour autre chose ? Tout juste cette question est-elle soulevée implicitement, mais ne pas y répondre, de l’aveu du réalisateur, fut la condition même du film. Incidemment, on apprend que sa décision d’abandonner la composition suivit le décès prématuré de sa sœur Lili, elle aussi excellente musicienne. Les notations biographiques sont rares, une mère aristocrate russe, un père français, musicien, l’énumération de ses diverses et hautes fonctions dans l’enseignement. C’est tout.

Pour brouiller les pistes, l’attention semble se focaliser sur ses illustres élèves, Philip Glass, Daniel Barenboïm, Aaron Copland, etc. et ce petit garçon que l’on voit jouer près d’elle, Emile Naoumoff, aujourd’hui pianiste professionnel. Mais ceux que l’on interroge, Léonard Bernstein et Igor Markevitch, ne parlent que d’elle. Le documentaire oscille sans cesse entre distance et rapprochement, entre une volonté de témoigner en tant que personnage-clé d’une génération, et la pudeur, un désir manifeste de ne rien dévoiler, pas même ses propres goûts musicaux. Les longs plans sur ses leçons, d’un côté la pratique, de l’autre quelques réflexions théoriques, et ses mains, sur lesquelles la caméra revient obstinément, la révèlent en toute discrétion: un plan trop près, une question malheureuse, on le sent, pourraient tout compromettre. Elle affirme que le rôle du professeur est de découvrir son élève. Parce qu’elle distingue le talent du génie – un don extrêmement rare – il lui importe de connaître, creuser, approfondir, agir comme le révélateur d’une personnalité. Ainsi, celle qui a marqué un siècle de musique, ne s’imposait pas comme un maître, ne cherchait pas à prescrire une lecture personnelle de la partition: elle apprenait à écouter. Et si ce documentaire parvient à transmettre quel fut l’esprit de l’enseignement de Nadia Boulanger, il devient à son tour un objet didactique universel.

Bruno Monsaingeon, musicien et documentariste, atteint l’équilibre. Entre le visible et l’invisible, le dit et le non-dit. Malgré l’exiguïté de l’espace, les angles de vue se démultiplient, on est dans l’évocation, la suggestion, presque dépourvues de commentaires. Le plus remarquable est ce parti pris humaniste qui ne montre aucun de ces musiciens dans une position glorieuse. Ici, ils sont élèves parmi les élèves, et leurs noms prestigieux sont autant d’abstractions, détachés d’eux-mêmes, clairement accessoires. Ni hagiographie ni légende, Mademoiselle, comme l’informe le titre, tend à restaurer une humilité artistique, effaçant les noms, les individus, pour que seul demeure l’essentiel, la musique.

Le documentaire a été réalisé en 1975, puis remonté en 1977, deux ans avant la mort de Nadia Boulanger. Elle avait alors nonante ans.

Mademoiselle,  BRUNO MONSAINGEON

Faux prophètes – vraies souffrances

« The world is an empty place, Mister Motes » : vide, le monde ? Il déborde, au contraire, suppure, comme une plaie, de croyances et prophéties, de faux prédicateurs et d’esprits captifs. Marqué dans sa maigre chair par un père fanatique et un indicible traumatisme de guerre, Hazel Motes n’est plus que crispation et volonté sèche. De retour au pays, dans le Sud, où rien de son enfance ne subsiste, son unique obsession est désormais de prêcher une religion sans rédemption, l’église du Christ sans le Christ.

En 1979, le nom de John Huston, associé à l’âge d’or des grands studios hollywoodiens, est depuis longtemps absent des affiches les plus en vue. Qu’importe ! le réalisateur de Key Largo poursuit son œuvre, sur une voie plus indépendante, plus modeste, qu’il trace de film en film – ou de livre en livre, car la littérature  semble depuis toujours sa seule muse. Après Kipling, Hammett, McCullers, Miller, son attention se porte sur un roman de Flannery O’Connor, Wise Blood (La Sagesse dans le Sang). Toujours fidèle à ses prestigieux modèles, Huston opère à peine un réajustement temporel,  des années 30 à l’après guerre du Vietnam. Au ton insolite du récit, mi-sérieux mi-caricatural, caractéristique de la romancière, s’ajoute un bizarre décalage entre l’époque filmée (fin des années 70) et  ces personnages du passé, transposés tels quels, dont le comportement obsolète produit un effet souvent comique, sinon inquiétant.

Linéaire comme un chemin de croix, le film accompagne  Hazel Motes dans l’exécution de son dessein. Son message s’inscrit d’emblée dans la négation radicale du Christ et des Evangiles. Tourmenté, sans doute déjà détruit, il ne lui reste de liberté spirituelle que cette part insuffisante qui consiste à contester, avec véhémence, toute vérité religieuse, sans avoir rien d’autre à offrir, en contrepartie, qu’un vide pitoyablement incarné par sa personne. Dans son misérable cheminement, les tentations qui s’offrent à lui – luxure et cupidité – affichent leur laideur sans honte, comme si, aux yeux de ses contempteurs, un projet aussi méprisable ne valait pas la moindre considération. Il est vrai que Hazel Motes n’a rien de séduisant : il vocifère plus qu’il ne prêche, ne sait pas sourire et rejette le seul être désintéressé qu’il croise sur sa route. Mais aussi, cette ville n’est rien d’autre qu’une  nef des fous ! Pasteurs défigurés,  femmes répugnantes et concupiscentes, foule amorphe ou méfiante : les gens ici ne sont pas très accueillants, résume, désespéré, un jeune homme hirsute, non moins étrange que les autres. Faut-il, pour être aimé, remarqué, entendu – mentir et se déguiser ? L’idolâtrie triomphe, ne laissant pas la moindre chance à l’ingrate intégrité de Hazel Motes. D’autant que tout extrémisme risque toujours de se révulser en son contraire.

Sous une trompeuse légèreté, Wise Blood piège le spectateur, diffuse angoisse et pessimisme, multiplie les niveaux de lecture – existentiel, social, politique – et  s’interrompt brutalement, dans un final décidément féroce. Ce questionnement religieux abordé sous l’angle de la prédication fait penser à un film  récent, plus ambitieux  – There Will Be Blood, de P. T. Anderson. Ascendance littéraire commune et thématique  jumelle  produisent  des œuvres pourtant différentes,  de valeur inversement proportionnelle à la renommée. Malgré le trait forcé et  un certain grotesque, Wise Blood ne sacrifie pas la profondeur de son discours à une esthétique prétentieuse et vide de sens. John Huston s’adapte sans peine à ses modestes moyens, tourne dans la ville avec ses habitants, accompagne ses personnages dans la rue, et ne songe qu’à servir le scénario. La force du film jaillit spontanément, après coup, d’une violence qu’aucune image ne contient,  diffuse comme un lent poison.

Wise Blood (Le Malin) de John Huston – voir également les compléments de grande qualité : une interview du réalisateur par Michel Ciment, une introduction de Michel Brion suivie d’une analyse de Christian Viviani.

John Huston (1906-1987)  – filmographie sélective

Le Faucon Maltais (1941)

Key Largo (1948)

African Queen (1951)

Moby Dick (1956)

The Misfits (Les Désaxés) (1961)

La Nuit de l’Iguane (1964)

L’Homme qui voulait être Roi (1975)

Au-dessous du volcan (1984)

Prizzi’s Honor (1986)

Les gens de Dublin (1987)

Creuser par déploiement

Act: un titre, un programme. En musique plus qu’en tout autre domaine, l’art et la théorie, qui s’attirent et se repoussent, fusionnent rarement. L’idée anéantit la musique; ou bien, la musique anéantit l’idée. Rolf Wallin, c’est l’évidence inverse: l’art transfigure la théorie.

Les concepts s’ouvrent et se ferment, circulent ou se figent, prolifèrent ou assèchent. Ce double tranchant est au cœur même de la pensée de Rolf Wallin, né à Oslo en 1957. Formé au Conservatoire, il débute dans les milieux du rock et du jazz. Cette pratique, que les puristes qualifieraient de déviante, élargit d’emblée ses horizons, de sorte que, pour la suite, son seul principe devient de ne s’en fixer aucun. En musique, nier une partie revient à nier le tout : « Ceci implique une certaine innocence dans l’exploration des multiples possibilités dans l’art de combiner les sons. La scène de la musique contemporaine a à sa disposition une vaste gamme d’expressions. Dans cet univers, chaque compositeur doit construire son propre monde musical cohérent, défini, étroit ou étendu. C’est ce que j’essaie de faire, et je serai très inquiet le jour où je sentirai que les frontières de mon monde musical ne bougent plus. » L’exigence est double: diversification des moyens d’une part, recherche de fond d’autre part. Aussi retrouve-t-on Wallin à plusieurs niveaux de la scène musicale: trompettiste dans des orchestres de jazz, auteur d’œuvres électroacoustiques pour des chorégraphies contemporaines, professeur et, bien sûr, compositeur. Ici comme ailleurs, la sophistication se pose comme impératif fonctionnel. Il s’agit de se fixer, à l’aide de logiciels informatiques, un cadre de travail rigide et d’y développer sa créativité. La contrainte est l’aiguillon de l’inspiration. Conscient des écueils de la musique contemporaine (dogmatisme, nihilisme, froideur, cacophonie…), il analyse, évite, louvoie et se met au défi de garder le sens de la création intact, d’évoluer positivement sans jamais sacrifier la musique au modernisme. Marqué par la figure du Docteur Faustus, il aime se remémorer, comme pour se prémunir contre ses propres démons, que pour trouver des voies musicales nouvelles ce personnage de Thomas Mann a vendu son âme au diable.

Bien sûr, au fil du temps, il s’est regardé changer, mûrir, se défaire peu à peu de sa propre affectivité pour accéder aux domaines plus objectifs de la composition. Le cadre de travail austère qu’il s’impose lui offre en retour la liberté d’intensifier l’émotion. Contenue mais concentrée, elle brûle d’autant plus, puissante, dynamique, radieuse. Ce disque, Act, en est la preuve: il bouleverse le cœur autant qu’il sollicite l’esprit, il enflamme et invite au recueillement.

Rolf Wallin s’exprime aussi très bien par écrit. Le commentaire apporte sur son œuvre un éclairage qui, bien qu’inutile – la musique se suffit à elle-même – lui donne une dimension supplémentaire, à la fois plus personnelle – il confie ses doutes, ses interrogations – et universelle, démarche philosophique pertinente, mise en perspective de son travail dans un contexte historique. De fait, Act est non seulement un disque qui s’écoute, c’est aussi une musique qui se lit. De chaque œuvre, le sens est explicité et le livret raconte des histoires merveilleuses. La plage titulaire invite à l’action collective; les instruments, d’abord mis en concurrence, sont conduits jusqu’à l’apothéose – l’orchestre devient la métaphore de la société. Le concerto Das War Schön! dialogue avec Mozart. Et cette conversation au plus profond de ce qui relie au travers du temps les deux musiciens prend une résonance d’autant plus insolite qu’elle se choisit un intermédiaire saugrenu : « Herr Stahr », le sansonnet de Mozart, pour lequel le grand musicien, attendri par le gazouillis de son compagnon ailé, en vint à modifier deux mesures de son concerto pour piano n°17. Tides, avec son titre limpide, mais souvent galvaudé, tend à objectiver par l’orchestre le mouvement des marées…

Ces discours pourraient aussi bien ne pas avoir lieu si la musique n’était pour eux un écrin aussi beau. L’harmonie entre œuvre et intentions est atteinte. Les percussions sont d’une telle diversité sonore que l’on croit se trouver en présence d’un orchestre d’une complexité inédite, dont les éléments, tantôt enchevêtrés, tantôt solitaires, semblent ne devoir rendre de compte qu’à la musique elle-même, à un idéal devenu sensible par eux seuls. D’une pièce, calme, apaisée, à une autre où les éléments se déchaînent, on prend le temps de mesurer à quel point les couleurs que traduit un instrument dépendent intimement du contexte dynamique qui les environne. Un soin minutieux est porté à la succession des morceaux, laquelle semble aussi obéir à une idée précise, soigneusement dissimulée sous l’alternance parfaite des rythmes, mais perceptible dans le détail, comme en témoignent les notes finales, particulièrement mesurées, qui sont moins un achèvement, un pré-silence, que déjà – touchante intuition de l’infime – prémices du morceau suivant, annonce d’une renaissance. Ou peut-être n’est-ce que la formulation d’un désir personnel, le rêve que cette musique-là ne finisse jamais.

Act/Das War Schön!/Tides, Rolf Wallin

Désolation de l’absurde

Comment devenir une cible? Le regard est extérieur, latent. Tel Œdipe, aveugle avant même de s’être crevé les yeux, on ne décrypte pas la réalité – il n’y a rien à y lire – des gens, des objets disposés dans l’espace qui, lorsqu’ils indiquent une direction, nous perdent. Des traces, des indices, toujours trop tard. Mais le regard d’autrui ne nous lâche pas. Vivre, agir, dès lors, revient à focaliser des forces extérieures qui nous désignent par hasard et nous rivent à notre tragique identité. Dans la splendeur aride des plaines texanes, No Country for Old Men dévide le fil de son pessimisme et décline en trois silhouettes absurdes l’errance de l’être déstructuré.

Configuration

Transposé au cinéma, un livre essentiellement visuel génère un film très écrit. De l’un à l’autre, dans une belle continuité, il s’agit moins de duplication que de complémentarité. Parfois, il est nécessaire de répéter certaines scènes avec des moyens différents pour les comprendre mieux, et c’est ainsi également que fonctionne l’inconscient qui, par de subtiles variations, finit par imposer des pensées bien précises. Entre le roman de Cormac McCarthy et le film des frères Coen, suivant le principe d’un rêve, des éléments disparates se présentent à l’esprit avec la limpide et trompeuse linéarité d’un récit chronologique et discursif. Ils semblent raconter l’histoire de Moss, jeune ouvrier texan assez ordinaire, qui, au hasard d’une partie de chasse, découvre le théâtre horrifique d’un règlement de compte entre dealers. Il s’empare de l’argent, laissant agoniser un Mexicain moribond, qui le supplie de lui donner de l’eau. Une fois rentré chez lui, les gémissements du mourant taraudent sa conscience: il faut qu’il y revienne. Bien sûr, ce retour sur la scène du crime est l’acte insensé, irrépressible, qui le trahit. Désormais dans la ligne de mire des dealers, mais surtout du dénommé Chigurh, psychopathe incontesté de la région, Moss doit prendre la fuite, croyant pouvoir préserver sa vie, celle de son épouse et l’argent. De loin, un shérif désillusionné suit la piste du fugitif et de son tueur. C’est la «voix» du livre. Ses propos, inscrits en italique, qui forment des chapitres isolés, commentent amèrement l’action, sans y prendre part. En italiques, et donc à contretemps, ou hors du temps… Car pour en revenir à l’hypothèse initiale, si l’histoire n’en est pas une, mais un rêve reconstitué a posteriori, on comprend pourquoi les trois personnages ne se rencontrent jamais et tout à la fois renvoient les uns aux autres par un jeu de miroirs qui déstructure pareillement l’espace et le temps.

Espace

Aux italiques du discours correspond l’étendue du Sud américain. La scène d’ouverture est grandiose: une succession de paysages infinis, une lumière qui porte à elle seule toute la densité d’une terre déserte, sèche et dépeuplée, dont l’inconsistance s’anéantit dans le lointain. Cet espace, peut-être, contient tous les autres, mais comme une fine membrane souverainement extérieure. Tel n’est pas le lieu du film. Les actions le découpent, le géométrisent: routes rectilignes barrées en leur milieu, coupées brusquement par des carrefours mortels, motels bas rectangulaires, chambres exiguës striées par l’éclairage artificiel. Suivant cette fragmentation du réel, les corps se décomposent en reflets sur les vitres, écrans de télévision éteints, parebrises éclatés, avant que l’entame ne plonge dans la chair même, blessures, fractures, opérations chirurgicales improvisées. L’effet de brouillage agit sournoisement, par injection de parallélismes, assemblages de plans, rimes d’images. Tout au long, la structure intime du film dénonce sa lisibilité. Par moments, on remarque une attention maniaque portée aux objets, lesquels acquièrent une importance démesurée, grotesque – on y reviendra. C’est la valeur symbolique (chiffrée en dollars) d’un vêtement, d’une bouteille de bière à moitié vide, la propreté relative d’une paire de bottes, mais surtout, le poids ridiculeusement prophétique d’une pièce de monnaie. De l’infini à l’infiniment petit, tel est l’itinéraire de l’homme. Illustration à l’appui, sans métaphore: le film traduit littéralement ce rapetissement par un minutieux découpage de l’espace.

Temps

L’ordre chronologique des actions est une construction mentale que No Country for Old Men feint de respecter pour en dénoncer le mécanisme. Ainsi, la progression est marquée par une succession de traces, et non, comme on serait tenté de le croire, par les événements eux-mêmes. Toujours trop tard, le shérif comprend chaque scène sur base des nombreux indices que personne ne prend la peine d’effacer. Chigurh, de son côté, opère un peu de la même manière, guidé par son émetteur ou par divers signes qu’il collecte soigneusement. La scène inaugurale, l’entrée de Moss dans l’arène, engage deux temps différents: le passé, figuré par les cadavres figés, le bourdonnement des mouches, et l’avenir, son avenir à lui, dès qu’il décide de s’emparer de l’argent. Le présent, devenu transitoire, perd toute valeur: c’est l’engagement d’une fuite, le trait de vide entre deux pointillés. La véritable tragédie s’inscrit dans le récit dès le commencement. La mécanique se déroule à la perfection, chacun remplit son rôle, tous privés de liberté. La voix du shérif, qui ouvre et referme la narration, ne cesse de se référer au passé: «…il y a un peu partout une autre vision du monde et d’autres yeux pour le voir et on y va tout droit. Ça m’a amené à un moment de ma vie auquel j’aurais jamais pensé que j’arriverais un jour. Y a quelque part un prophète de la destruction bien réel et vivant et je ne veux pas avoir à l’affronter. Je sais qu’il existe, j’ai vu son œuvre». Faut-il ajouter que l’histoire se déroule dans les années quatre-vingt, comme cet autre film, tout aussi déceptif, Zodiac, de David Fincher. Choisir cette époque-là, antérieure au 11septembre 2001, revient à nier l’état d’innocence dont l’Amérique ravagée s’est prévalu au moment des attentats. C’est affirmer que, depuis vingt ans déjà, le Mal est là, mais à l’intérieur. Telle est la teneur du discours du shérif et cela s’adresse bien sûr aux Américains d’aujourd’hui…

La lumière sur le visage grotesque qui recule

«Être ébloui par la vérité, c’est là tout notre art; seule est vraie la lumière sur le visage grotesque qui recule.» Franz Kafka, Journal

On connaît l’humour des frères Coen et ce film distille un grotesque particulièrement jouissif. Chigurh, diablement bien joué par un Javier Bardem qui crée, sur mesure, un personnage – voire un archétype que l’on retrouve, par exemple, dans le Joker du dernier Batman – est affublé d’une coiffure mi-Beatles mi-Mireille Matthieu; son arme de prédilection est un fusil à air comprimé du plus comique effet. Surtout, il a cette façon unique de s’exprimer avec un très grand sérieux, sans le moindre sens de l’humour, qui provoque involontairement le rire. Cette attitude, de même que la ridicule désinvolture de ses crimes, dévie significativement sa monstruosité. Le grotesque, par sa valeur toute relative, dénonce le caractère dont il s’affuble. Chigurh présente à la société son reflet honteux. Une telle folie, sous-entend-il, naît du terreau même de l’humanité, golem moderne façonné d’argile, animé par le Verbe. La société? Le trait d’humour ne l’épargne pas, qui contraint Moss, couvert de sang et visiblement mal en point, à marchander une veste pour passer la frontière, tandis que Chigurh, dans des circonstances similaires, s’en voit offrir une généreusement. De façon générale, les Texans ont une drôle d’allure; on sent l’intention de produire des caricatures, figures gogoliennes de l’Amérique profonde, suant la perversion inhibée et la bêtise, face au tueur, qui, avec son bon sourire tranquille, son flegme (cruel, certes), témoigne d’une certaine forme d’ingéniosité, de cohérence dans le mal: «Si la loi que tu as suivie t’a mené à ceci [comprendre: la mort], dis-moi, à quoi sert, la loi?» Et c’est là que réside la plus délicieuse ironie, dans le fait que désormais, seul celui qui n’a pas d’âme, selon les mots de McCarthy, est en paix avec lui-même. Il lui suffit de régler sa vie dans ses détails matériels.

La réalité par le cauchemar

Le film progresse lentement, sur une route que la chaleur fait trembler, mirage, effet d’optique, pour raconter ce qui tient davantage du rêve (du cauchemar) que de la narration traditionnelle. Ces éléments, grotesque compris, donnent une vérité au contenu qu’il n’aurait pas eue s’il avait été d’emblée pensé en récit. McCarthy conçoit ses livres comme une succession de tableaux visionnaires (ce qu’atteste son dernier livre, La Route, qui fera, lui aussi, l’objet d’une adaptation cinématographique), et ce trait s’accorde naturellement à la façon de procéder des frères Coen. Leur cinéma a priori populaire transpose avec précision la langue vernaculaire de l’écrivain. Un rapide coup d’œil laisserait penser que No Country for Old Men est un western, un film d’aventures. Mais le ton n’y est pas. L’arythmie temporelle, la poésie de malaise et d’effroi éloignent le spectateur d’un premier degré trop vacillant et l’engagent sur une autre voie où la conscience n’est pas forcément requise, parce que ses codes sont dorénavant symboliques. «Et dans le rêve je savais qu’il allait plus loin et qu’il voulait allumer un feu quelque part là-bas dans tout ce noir et dans tout ce froid et je savais que n’importe quand j’y arriverais il y serait. Et alors, je me suis réveillé.»

No Country for Old Men, Joel & Ethan Coen

Les réjouissances de l’absurde

Prenez un panel de clichés disparates, diluez-le dans un grand sceau de bêtise et de vulgarité, secouez bien jusqu’à l’absurde, et préparez-vous à éclater de rire : voici le nouveau film des frères Coen – dits faux jumeaux collaborateurs indissociables interchangeables irremplaçables.

Il serait dommage de dissocier Burn After Reading de No Country for Old Men (et de les hiérarchiser), car ces deux-là s’amusent ensemble et se font écho presque autant que les réalisateurs : même humour (dans un contexte différent), même truculence, même perfection scénaristique, même maîtrise de l’image. Entre tragédie et comédie, la nuance est dans le ton. A quelques degrés près.

L’intrigue est une estrade  sur laquelle les acteurs présentent leurs morceaux de bravoure, avec un plaisir perceptible et communicatif : Brad Pitt (et c’est bien la première fois que je l’apprécie) est coach dans la salle de musculation   hardbodies ;   Clooney, homme-enfant entretenu, alterne sainement sexe et jogging ; Frances McDormand attend  l’homme idéal et compte sur la chirurgie esthétique pour se réinventer ; Tilda Swinton, taillée à la serpe dans une élégance glaciale, compose une  diva grandiose et infecte ; John Malkovitch se montre aussi tordu que d’habitude. Entre eux des imbroglios compliqués tissent un réseau fictionnel qui, vu de haut, de très loin, (métaphore de l’image satellite au générique) ne fait aucune concession à l’absurde. Proche en cela de No Country, Burn after Reading ne prend rien au sérieux. La profusion d’anecdotes réalistes finit par dé-réaliser l’histoire. Les hommes sont des marionnettes qui s’agitent vainement et les personnages – faut-il le dire – rivalisent en bêtise et veulerie ; les cadavres peuvent disparaître aussi vite, du moment que l’on s’occupe du ménage – c’est le rôle de la CIA. D’un grotesque de la meilleure eau, ces films  proposent une vision de l’humanité si noire qu’on ne peut qu’en rire : réponse politique souveraine à la crise et à la  guerre, comme un président chahuté par une paire  de chaussures.

Autres films des frères Coen

Burn after Reading, Joël et Ethan Coen (actuellement en salles)

Tout homme séjourne en son semblable

« Qu’il soit ou non dans mon livre, tout homme séjourne en son semblable et celui-ci en celui-là et ainsi de suite dans une chaîne infinie de créatures et de témoins jusqu’aux ultimes confins du monde. » (Cormac McCarthy)

Certains films, certains livres, sont si riches, si foisonnants, si généreux, qu’ils semblent pluriels. En les décomposant, on obtient d’autres livres, ou d’autres films, qui eux-mêmes multiples, peuvent encore être divisés. Différents des récits gigognes qui respectent une certaine hiérarchie et s’imbriquent, tels des poupées russes, les uns dans les autres, ils prolifèrent anarchiquement et n’ont ni centre de gravité ni géométrie. La difficulté est double : gérer les structures du désordre apparent et donner à l’infime l’ampleur de l’infini. Or, il est déjà si difficile de créer ne serait-ce qu’un seul personnage, abstraction de chair et de sang,   amplitudes diverses, contrastes et inconnues ; il est si délicat de suggérer l’intériorité, l’absence dans un corps, l’esprit dans le néant – qu’est-ce alors, de créer une société, un monde,  la vie ! Peu en sont capables! Ces innombrables personnages littéraires, pour la plupart, ils n’existent pas. Parole et apparence ne suffisent pas…  Je me souviens d’un passage dans le journal de Kafka, où, songeant à son roman Le Disparu, il se plaint que ses personnages lui échappent, vont et viennent à leur guise, sans respecter son plan d’écrivain. Comme c’est étrange, que ces êtres-là existent, alors qu’il ne les a même pas gratifiés d’un nom. C’est cela, la création véritable : l’autonomie. Un personnage existe davantage par ce qu’on ignore de lui que par ce qu’on en sait.

Ici pourtant je parle de cinéma – du dernier film d’Arnaud Desplechin. Un réalisateur capable de créer un monde, une généalogie, des personnages aussi diserts qu’insondables, affublés de prénoms mythologiques comme par refus de les nommer. Pour chacun, une histoire particulière, un passé – un mystère. Si tous convergent vers un foyer principal, celui-ci n’en est pas moins temporaire et accessoire : le temps de Noël et la nécessité d’une greffe. Plus important, le lien familial qui les relie agit paradoxalement comme moteur d’éparpillement, par un jeu simultané d’attirance et de répulsion. En première ligne, Élisabeth et Henri, frère et sœur ennemis qui, par moment, semblent ne plus former qu’un seul être monstrueux, chimère ambivalente, figure de mort et de vie, ravalant toutes les contractions. Il est vrai que tout se mélange : la laideur du Nord et la beauté de l’image, la maison bourgeoise et l’excentricité de ses habitants, les religions catholique et juive, le réel et le mythe, les arts et la vie, les musiques, les sentiments.  Tout se mélange par exigence de sincérité. Sans dualisme, sans résolution morale, sans rationalisation autre que celles, délirantes, que s’inventent les personnages, sans consolation. Ce refus d’une dialectique mensongère laisse alors une place immense à la transcendance, ni explicite ni dogmatique, mais diffuse, qui se devine, discrète, dans les indices semés tout au long du film, principalement par Abel, le père magnifique, fervent lecteur de la Torah, dont il connaît certains morceaux par cœur, passionné de musique, qu’il suit à même les partitions.

Un conte de Noël fait partie de ces films que l’analyse semble paraphraser. D’où cette ébauche d’étude, ces phrases en suspens  : je ne m’attarde sur rien d’autre que  sur mon propre enthousiasme. Comme toujours, mes goûts personnels me portent vers un cinéma très littéraire, je le reconnais. J’aimerais revoir  ce film avec un cahier sur les genoux, me souvenir des dialogues, des images, des citations. Mais il y a encore autre chose. Cette invention de personnages, ni héros ni modèles, composée d’êtres vrais, entiers, défectueux, est en moi comme ombres et échos, lointains, profonds, intérieurs.

Voir aussi sur ce blog : Mathieu Amalric : double jeu

Un Conte de Noël, Arnaud Desplechin

Filmographie d’Arnaud Desplechin