Paul Auster Confidential

Très vite, la parole échoit à son épouse, Siri Hustvedt. Comme elle écrit, elle déchiffre, expose, instruit, analyse. Enfance, adolescence, antécédents familiaux : à partir des données dont elle dispose, elle définit des théories élégantes, argumentées, enveloppées d’une certitude que son cœur ne peut qu’étayer, puisque l’homme qu’elle commente ainsi, elle en est profondément amoureuse. Et cela aussi, elle le justifie : si, après tant d’années de vie commune, elle ressent encore  ce désir violent que le temps et l’habitude  entament, c’est qu’il demeure, malgré sa présence familière, une enigme. Entre eux la conscience de l’altérité préserve l’incertitude nécessaire à l’attachement, puisque notre besoin de l’autre se nourrit de la crainte de le perdre. Puis elle referme le livre : cette conception très proustienne de l’amour, présentée comme une confession personnelle, est en réalité extraite d’un de ses romans à elle… Il n’empêche, cette séquence de Paul Auster Confidential donne le ton général du documentaire, qui mélange volontiers lectures et récits personnels, posant d’emblée une équivalence entre l’œuvre et l’écrivain (et Siri Hustvedt). Or, malgré le plaisir de voir et d’entendre Paul Auster faire la lecture, il est assez déplaisant de constater avec quelle facilité il replace ses romans dans le sillage de son propre vécu. En oubliant la mode récente de l’autofiction, on sait pertinemment qu’un roman, quelque ressemblance qu’il puisse avoir avec la vie, quelque intime que puisse paraître le ton des propos qui s’y tiennent, n’est jamais qu’une création romanesque, de sorte qu’assimiler Proust au narrateur de la Recherche reviendrait à croire que Dostoïevski a tué son père ou que Kafka a voyagé en Amérique. Ajouté à cela, les décorticages psychologisants de Siri Hustvedt, quoique flatteurs, laissent penser qu’elle est, autant que sa compagne, son exégète et sa psychanalyste.

Néanmoins, comme le documentaire dure deux heures, ces irritantes confusions sont compensées par les qualités médiatiques de l’écrivain lui-même. Photogénique – on s’en doute – excellent orateur, il raconte, plaisante, présente, disserte et bavarde sur des sujets suffisamment diversifiés et indirects pour éluder le reproche d’égotisme que ce genre d’exercice induit presque naturellement. New York le seconde dans ce sain élargissement de l’image et du discours, soit que l’écrivain nous emmène en promenade, soit que la rue, filmée en dv, serve de respiration entre les scènes d’intérieur, de lecture ou de confidences. De nombreux extraits de films, ceux de Paul Auster ou apparentés à son univers, à son histoire, agrémentent un documentaire ambitieux, dont on rêverait qu’il en existe de pareils pour nos auteurs préférés…

Mais le désire-ton vraiment ? Que nous apporte en fin de compte cette proximité un peu artificielle avec un écrivain ? A mon sens très peu, et pas le meilleur! Les romans de Paul Auster me plaisent, en général, même si, mystérieusement, je les oublie très vite. Pour autant, ces deux heures passées en sa charmante compagnie semblent m’avoir éloignée de son œuvre. Je constate que mon intérêt pour un auteur préfère d’autres voix que la sienne lorsqu’il s’agit d’approfondir ou d’établir un contexte… Ce qu’un artiste communique révèle davantage sur lui-même  (et, en ce sens, n’est que la prolongation, moins intéressante, de son travail) que sur l’œuvre en tant que telle. La critique – l’analyse littéraire – demande une distance qu’on ne peut avoir sur soi-même. Aussi regrette-t-on que ce Paul Auster Confidential, pas une seule fois ne s’éloigne de son univers clos, et ce n’est certainement pas le discours extasié de l’épouse qui apportera la marge attendue. Gérard de Cortanze, co-auteur du documentaire, a bien écrit, il y a quelques années, une sorte d’essai sur l’écrivain (Paul Auster’s New York), ainsi qu’une longue interview (La solitude du labyrinthe), mais ici il semble plus enclin à laisser la parole à son ami, à se filmer à ses côtés, qu’à véritablement apporter un contrepoint qui ferait de ce film un document plus riche, plus formateur, plus pertinent que cet exercice d’admiration un peu vain.

Paul Auster Confidential de Guy Seligmann et Gérard de Cortanze (ARTE)

Filmographie de Paul Auster (scénariste et réalisateur)

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Une réflexion sur “Paul Auster Confidential

  1. Pingback: Le plaisir d’écouter l’écrivain qui en disait trop « Rue des Douradores

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