Triangle d’amour parfait

Difficile, au début, de s’y retrouver : deux jeunes filles se confondent, l’une d’elle porte le nom d’un garçon mort dont l’autre est la veuve, deux villes s’effacent sous la neige. Le temps de différencier les personnages, d’assigner à chacun  son rôle, on se laisse doucement porter par une agréable confusion, car certains signes confortent la patience et promettent des éclaircissements dignes de l’attente. Puisque la première image est celle d’un visage offert à la neige, d’une fragilité, d’un abandon si manifestes que le cœur se serre, oui, dès la première image. Peu à peu le récit s’éclaire ; par bonheur son élucidation n’appauvrit pas l’histoire qui, jusqu’à la fin, garde en elle suffisamment de mystère pour sembler infinie.

Un amour né trop tôt, mort prématurément. Une jeune fille inaccessible dont l’âme se déporte sur une autre. La plus aimante n’est peut-être pas celle qui fut le plus aimée. Un jeune homme qui préfère l’écriture à la parole, imprimant son nom et celui de l’autre qui ne font qu’un, sur des livres qu’il ne lit pas. Un triangle spirituel parfait dont chaque côté se touche sans envie dans la juste prolongation du sentiment. A présent j’écris ces phrases un peu folles en toute sincérité, avec la prétention non moins extravagante de rapporter très précisément un récit rationnel. Mais,  pour savourer comme j’ai pu le faire, la délicatesse et la rareté de cette histoire, je crois qu’il vaut mieux la laisser se déployer d’elle-même. Il suffit d’espérer des voix très douces, des mains fines, des lettres étranges, des petites choses enfantines et acidulées (parce que c’est un film japonais et que les collégiennes dissimulent leur timidité sous des gloussements rose-bonbon), des floraisons de neige et des flocons tourbillonant dans le ciel, la dentelle des  montagnes au lever du soleil, un écho qui transcende la mort, et comprendre que l’incarnation n’est qu’une étape éphémère dans le déploiement de l’amour.

Love Letter, de Shunji Iwai, avec Miho Nakayama (1995)

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