Deux ascensions : arrivé au sommet, j’ai pensé à toi. En bas, il a bien fallu t’oublier. Entre la ferveur désordonnée de la marche en altitude et la surface miroitante du repos, immobilité, langueur, indolence, ta préférence est un refus.
Jamais seul, encore moins silencieux : parler comme tu te tais, quand il n’y a rien à dire.
L’imminence du lever inaccompli, longues stations assises, à table, abondance de mets. Le vin imprègne la chair d’une rouge corolle et leurs sangs se mêlent. Au bout de quelques verres, les molécules fusionnent sur la langue. Union spirituelle. Tu comprends pourquoi tu es absente.
Je me surprends parfois à caresser la courbe des minutes crémeuses qui viennent se frotter contre moi dans la pénombre. Entre deux et quatre heures de l’après-midi.
Parfois les voix s’élèvent en arantèle, elles jaillissent vers moi toutes ensemble. Ne te méprends pas, je suis capable de leur répondre individuellement. L’une après l’autre, avec une aiguille, une seule. Je festonne, je suture, j’ourle et je brode. Cela m’épuise délicieusement.
Au crépuscule j’éprouve le contentement d’un sage déguisé en artisan. Les fenêtres me manquent un peu, mais qu’importe! les murs tiendront jusque demain.
L’étoffe de l’oreiller m’irrite la peau, tandis que la nuit tisse sur mon visage l’ombre désirée. Les draps ondulent comme des serpents dans mes jambes et me grattent les minuscules granulés du tissu. On dirait du sable, je dors sur une plage. Cela, c’est toi qui me l’a appris. Je n’ai jamais accordé la moindre attention à ces détails qui te rendent nerveuse.
Tu vois, même oubliée tu te tiens là, toujours à mes côtés.
Le lendemain je m’éveille constellé rêvant d’une journée de paresse cultivée. Des crépitements bleutés s’installent dans mon cerveau ; il me plaît de leur faire plus de place que nécessaire. Je me démultiplie comme les bras du dieu hindou – pourquoi ne saisis-tu pas celui que je te tends ? Qu’as-tu fait, toute seule ? Ne réponds pas, ce n’est pas nécessaire. Je sais.
Exactement le contraire.