Des plages à l’intérieur

A propos de : Agnès VARDA, « Les plages d’Agnès », France 2008, durée 1h50 (dvd : Cinéart)

« Cette fois-ci pour parler de moi, j’ai pensé : si on ouvrait les gens, on trouverait des paysages. Moi si on m’ouvrait on trouverait des plages. »

« Un peu de je, un peu de moi, et je déballe tout en vrac – et après je range un peu. »

Agnès Varda

C’est un film qui donne envie d’avoir vécu – non pas sans doute d’être déjà vieux, d’avoir avant l’heure autant d’années qu’Agnès Varda – mais un film qui, de cette maturité produit un tableau si généreux, si fécond, et à ce  point sans âge qu’il additionne tous ceux du passé pour ouvrir, loin de toute idée de dégradation, l’incommensurable espace mémoriel de l’imaginaire. Les plages sont là, de façon multiple et inventive, concrètes et métaphoriques, comme de larges étendues où se rejoignent des éléments de nature diverse, l’eau, le sable, la lumière et le vent, mais aussi béances dans lesquelles s’écoulent les pertes, les non-dits, les regrets, ou encore, mieux que des plages, des pages sur lesquelles la vie peut indéfiniment se rejouer, à tous les niveaux, se remettre à l’heure et se parodier, se contempler ou se ressentir. Sur cette plage plurielle, toujours recommencée, Agnès Varda  installe des miroirs :  ainsi se définit le cadre multidirectionnel de la rétrospective. Une installation ? Pas vraiment, on ne va pas rester en place, loin de là, Agnès Varda,  il faut la suivre,  son énergie est communicative ! On partira donc de Bruxelles, la ville natale, ensuite on descendra jusqu’à Sète sur un bateau plaine-de-jeux, après la guerre direction Paris, puis il y aura encore pèle-mêle de nombreux océans, des campagnes, l’Asie, les Amériques… La géographie n’est ni globale ni simplifiée : chaque ville, chaque lieu, chaque image se divisent encore en d’autres images qui elles-mêmes se divisent, s’associent, renvoient les unes aux autres – comment voulez-vous résumer cela ? Ça tombe bien : on l’aura compris, le résumé, Agnès Varda déteste. Réduire ? Ranger ? Oui, « un peu », à condition d’en faire quelque chose, de recréer, puisqu’il s’agit non pas de se souvenir mais de revivre – en mieux. Je crois qu’on peut revoir ces plages autant de fois qu’il faut pour en dénombrer les détails : à l’infini. Et je me garde de raconter l’une ou l’autre anecdote particulière, car il existe une structure propre à la mémoire affective qui fonctionne dans la fluidité, qui maintient ensemble des éléments étrangers entre eux ; cette cohérence est souple, lumineuse mais fragile : il faut la respecter. Par contre, la femme qui transparaît au travers de ce formidable périple scopique se révèle, finalement, très peu. C’est étrange parce que, face aux miroirs, avec tout ce que cela suppose de narcissisme et de coquetterie assumés (je me cache / je me montre, je fais des yeux de velours à la caméra, je mets beaucoup de jolies robes et des bijoux assortis, je me regarde et me dédouble dans ma jeunesse intacte), avec tout cela ses plages sont une arche, et sur cette arche le monde entier est invité, embrassé, aimé, car il ne s’agit pas de créer de la place en vrac pour fourrer tout le monde à l’intérieur, mais d’offrir à chacun un décors adapté à sa personne , une espace unique, une intimité. Ils sont nombreux, pourtant, les collaborateurs (dont une ex-collègue, Marjolaine Grandjean), la famille, les amis, les stars, les gens du quartier, les gens rencontrés par hasard, sans oublier les chats de la maison… En voyant cela, on s’extasie : c’est incroyable tout ce qu’on peut mettre dans une heure cinquante de cinéma ! Parce que je suis loin d’avoir fini mon énumération – et que pourrais-je écrire de mieux, pour rendre hommage à ce film, qu’une énumération de l’indénombrable ? L’événement politique n’en est pas absent, au même titre que l’événement privé, respectivement envisagés au travers de photos et de films, de peintures, de reconstitutions parfois comiques. Il convient de préciser que, avec sa voix égale, ronde et terrestre, avec son regard toujours mélancolique, Agnès Varda parle beaucoup mais elle se tait davantage – sur l’essentiel. Avec un tel parti-pris de pudeur et de retenue, il ne faut pas s’attendre à une mise en scène dramatique ou sensationnelle. A petits pas, à reculons, Agnès Varda circule sur ses plages, au centre et à la périphérie, comme le cœur et ses vaisseaux, paisiblement, figure pleine, entière, d’une femme qui ne se réduit pas à une seule personne, ni à un seul récit, mais qui, tant qu’elle sera en vie, continuera à se déployer, à étendre les cercles de la création, dans toutes les directions.

Les 80 balais d’Agnès Varda!

La maison de cinéma (en pellicule de film déroulée)

Les chats d’Agnès Varda (ses 2 dernières photos sont dédiées à mon ami Globe Glauber)

Tout ce qui concerne Agnès Varda, à la médiathèque.

… et l’univers de Jacques Demy.

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2 réflexions sur “Des plages à l’intérieur

  1. Pingback: L’amour de loin « Rue des Douradores

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