Nous, jacinthes.

Nous, jacinthes, fleurs altières, nous prétendons ne pas vouloir être touchées. Nos tiges sont droites et nos nuques penchées : ne pas regarder ceux qui nous voient, c’est, à l’inverse des racines obscènes, toiser la forêt qui nous conçoit.

Toutes ensemble nous sommes séparées. Végétation unanime nous détestons frayer. A trois sur une tige, nous restons isolées, chacune dans son monde, détournées. Si l’une d’entre nous soupire, nous la laissons flétrir, s’étioler. La mort ne nous détache pas, entières, nous tenons, sans pourriture ni décomposition, intactes de faner.

Si peu solidaires et cependant nous avons l’air groupées – il est de notre devoir de tromper. Nous nous savons maigres et chétives, la nature ingrate nous a peu donné, individuellement, nous sommes pire que laides – invisibles. A plusieurs nous triomphons par la couleur, nous sommes magiciennes et spirituelles, notre puissance est un leurre. Mais nous, jacinthes, fleurs sans beauté, ce qui fait défaut nous pouvons le représenter.

L’ombre nous dispense ses faveurs car elle sait, haïssant le jour et la tiédeur, que nous réinventons la lumière. Plus lascive que la nuit, plus néfaste que le soleil, plus saumâtre que le néon – et plus empoisonnée -, notre flamme fatigue l’obscurité. De nos corolles rejointes s’évaporent le bleu, le mauve et le gris, c’est une fumée électrique qui s’élève et nargue le ciel devenu âcre.

Fiévreuses et pensives, il nous faut mentir pour demeurer rêveuses. Nos parfums doux bruissent légers comme le chant des oiseaux et comme eux volent trop tendre nuée, confuse et masquée, sans rapport et sans réalité. Plus bas nos ventres mûrissent des sucs suaves plus corsés, réglisse, poivre et sumac, liqueurs fauves de nos racines cachées.

Nous craignons ne craignons pas d’être comme l’ail des ours à quelques pas, nous désirons ne désirons pas d’être comme le sureau, l’oranger, le yucca, nous brûlons ne brûlons pas, nous jacinthes, fleurs secrètement sucrées, d’être dévorées.

Si ténues, là où nous sommes le vent diminue, s’attendrit, son haleine nous frôle, nous grise. Têtes penchées, nous fleurs austères, nous attendons, nuque offerte, que la brise vienne nous caresser.

Lointaines sanglées au ras du sol, nous exhalons des vapeurs et des lueurs différentes de ce que nous sommes. Nous adorons les hauteurs et le déséquilibre des pentes, l’écoulement de la pluie quand elle nous malmène, le grouillement des insectes en nos feuilles qui nous brusquent et nous salissent ; rivées à l’humus, nous mélangeons les terreurs aux délices sans que nul ne les détecte.

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