L’écriture, pour avancer, procède à rebours. C’est du moins l’expérience que j’en ai, qui n’est en rien singulière. Sans doute ce qui s’écrit à travers moi, et donc le langage, verbal ou non, rejaillit sur ce qui précède, sans revenir à sa source. En quoi consiste ce reflux ? S’il ne s’agissait que d’une rétrospection en signes, il se réduirait à quelques ajustements. Sur ligne, en cercle, dans un rapport d’identité. Mais il y a écoulement, perte, addition, mélange, blessure et les signes, mi-chair mi-altérité, sont tribus nomades de l’informe. A leur approche, le réel s’esquive, bat en retraite, et il est suivi, désiré. L’esquive n’est pas la figure du manque, elle est la figure de l’irrémissible proximité, du presque frôlement. Pour que la rencontre se réalise, il faudrait le lieu et le temps. L’informe est l’instable sans point fixe, sans temps mort, sans séjour : ivresse de la saisie. Ce ravissement, l’écriture ne cesse de le reconduire, et, voulant exister, incandescente, elle doit le surpasser, d’une façon ou d’une autre, de toutes les manières, négation, défi, illusion, lutte, adoration, rêve, extase. Le désir par essence jamais – ce serait la fin de l’écriture – ne désespère. Que peut-il comprendre ? Que peut-il atteindre ? Son propre percevoir, c’est-à-dire qu’il se saisit lui, en tant que sensibilité accrue : intensité. Dès lors l’écriture se (dé)livre, elle-même, plutôt qu’elle donne à voir, et c’est ainsi qu’elle fait retour, tantôt incendiaire tantôt inventive. Elle déferle, inextinguible de sensations, d’idées, de volonté, intègre et cependant fluctuante ; au mieux, excédentaire. Elle insiste, par retours compulsifs sur elle-même, retours à l’informe natif, ses flammes arrivant presque à lécher les flancs du réel.
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On dit : L’écriture fait apparaitre ce que je ne vois pas ; dans ce que je ne vois pas encore est ce que je sens confusément ; mémoire qui affleure et tout à coup se livre, doit se livrer. Objet de ressenti qui prend la forme supérieure d’une re-création bien nette. En relisant j’y suis mais je suis aussi au-dessus de ma propre pensée : charme, petite hauteur de l’écriture. Sans doute je ne sais penser qu’en écrivant : sans écrire je suis pensé, traversé par des images ou des phrases, comme autant de songes non autorisés .. .
Mais toutes les formes d’expression procèdent ainsi. Dans ce lâché du corps, oui du corps, entier, cette façon d’ouvrir un chemin à la machette alors qu’il n’y a pas même un chemin, d’y aller comme un somnambule à mesure qu’il avance. On peint aussi et surtout avec ses mains pensantes (à leur manière) ; on écrirait presque, avec cette volonté de ne pas autoriser la pensée consciente, celle qui nous contraint et nous conforme, à ce retour, à chaque fois vers tous nos schémas et impasses. Comment passer outre ce magma qui interdit d’aller à l’essentiel, à la pure re-recrétion, comment slalomer dans cette masse de déjà dit, déjà fait, déjà entendu qui nous assaillent et nous interdit en partie ?… Quelque chose de l’oubli de soi et du monde pour enfin se détacher de soi et du monde. Du sol. Par pour une évasion irréelle dénuée du sens puisque nous cherchons à atteindre l’évidence et le tableau parfait et humble du réel, de ce qui en nous mais est aussi universelle. Ecrire sans mémoire pour atteindre à la seule qui vaille…
deux coquilles dans mon texte ci-dessous : ligne 14 – il vaudrait mieux lire « aller à l’essentiel, à la pure re-création »
et puis 2 lignes avant la fin : « … le tableau parfait et humble du réel, de ce qui est en nous mais est aussi universelle ». Désolé… la prochaine fois, je relis…
Cet oubli de soi, peut-être ne peut-il se produire – et ce n’est un paradoxe qu’en apparence – que dans la conscience même qui le rend nécessaire. Se détacher, prendre de la distance n’est pas se précipiter dans le néant. Les acquis, les savoirs, la mémoire, les torts et les raisons ne nous tirent pas forcément vers le même : ils sont notre consistance, nos ressources, nous leur devons et le désir et la possibilité du mouvement.
– Et cela, non sans vous remercier d’avoir déposé ce beau commentaire -.
je sais bien que les choses sont là ; au fond ne pas les provoquer, ce n’est pas ce jeu, pas ce que je provoque dont j’ai le plus envie, ni même ce qui m’apparaît important pour moi. Oubli de soi, juste qui sait, chercher une autre façon d’accéder à tout ce dont tu parles : trésor, butin, mouvements… Comme chercher un autre angle pour tenter de ne pas revenir à ce qui (les)nous limite. Une simple histoire de méthode alors. Ce que je peux écrire de « mieux », souvent m’a échappé au début ; ensuite je tire un fil qui s’il me semble un moment étranger, déroutant, est pourtant l’occasion de m’y reconnaitre…