Que le vent puisse pénétrer et le cri du monde

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« Je suis Ophélie. Que la rivière n’a pas gardée. La femme à la corde la femme aux veines ouvertes la femme à l’overdose SUR LES LEVRES DE LA NEIGE la femme à la tête dans la cuisinière à gaz. Hier j’ai cessé de me tuer. Je suis seule avec mes seins, mes cuisses, mon ventre. Je démolis les instruments de ma captivité, la chaise la table, le lit. Je ravage le champ de bataille qui fut mon foyer. J’ouvre grand les portes que le vent puisse pénétrer et le cri du monde. Je casse la fenêtre. De mes mains sanglantes je déchire les photographies des hommes que j’ai aimés et qui ont usé de moi sur le lit sur la table sur la chaise sur le sol. Je mets le feu à ma prison. Je jette mes vêtements au feu. Je déterre de ma poitrine l’horloge qui fut mon cœur. Je vais dans la rue, vêtue de mon sang. »

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Heiner Müller, Hamlet-Machine

Photo : « Trois femmes au visage caché. » (détail). Source : Le Divan Fumoir Bohémien

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2 réflexions sur “Que le vent puisse pénétrer et le cri du monde

  1. Les mains dans le ciment, comme on a la tête à une ancienne vie. Très vite on sent que la moindre petite coupure est investie par l’acide, on se sent rongé jusqu’à l’os. Vie accidentelle ou d’autres vies accidentés se mêlent, viennent s’emmêler,… Je ne peux pas renier les anciens corps, mouvements appris de l’autre, les vies plantées en moi et leurs racines profondes. Comment ne plus aimer qui ne vous aime plus, qui vous méprise, forte de son présent, de sa renaissance sans vous, de la variété du monde redécouvert sans vous, enfin ; vie dans laquelle même votre fantôme n’a plus ses entrées, pas même un strapontin ? Vous n’apparaissez plus, royaume des morts tendu par l’autre comme un miroir… Mépris de celle qui a encore une place, pourtant, un peu partout dans vos veines et dans vos nerfs… je voudrais tout dévasté, oui mettre le feu à cet espace : dire je n’ai rien aimé, ni personne, perdre toutes sortes de mémoires être dans l’abandon absolu de tout ce qui fut, histoire d’agrandir le présent comme ils disent. Je ne veux pas? Le présent sans ce que je nomme « le plus précieux » n’est que du présent creux, n’a aucune résonance : on ne peut pas tout arraché. Je refuse d’appliquer la règle de l’oubli, je refuse de renoncer à ce que j’aime au moins autant que ma propre vie. Je sais que je vais perdre, je sais que c’est perdu d’avance… Non, je n’irai plus jamais à Lisbonne ou bien pour raser cette ville qui n’est pas seulement une ville… qui est notre chambre, ses mains sur moi, le signe, l’architecture debout, la preuve par le fleuve de ce qui existe et qui est à nous d’irréfutablement beau… « Je vais dans la rue vêtu de mon sang » même lorsque qu’elle me déclare mort et enterré de mon vivant. Nous sommes au monde, tous deux, nous buvons l’eau d’une même fontaine et même si elle l’ignore, et même si elle le refuse, l’océan qui nous sépare, nous le partageons encore, y baignons, chacun sur sa rive, ridicules humains qui s’oxydent a vue d’oeil et pourtant se toisent et se jugent. Je sais que son silence continuera à s’étendre, je sais que je vivrais sous cette chape plus grise et plus acide encore que le ciment sur les mains, sur le corps, dans la bouche. Son silence définitif qui cherche à prouver la mort de l’autre pour se sentir libérer tout à fait ! Ce silence qui pousse aux cris !

  2. Vous savez ce que vous écrivez là fait écho à La Musica de Marguerite Duras, dont je viens t’entendre la lecture qu’en font Fanny Ardant et Sammy Frey. Elle prononce ces paroles, tout au début : la mort comprise. – Rien n’est plus fini que ça. La mort comprise. – Plus tard elle va dire exactement le contraire.

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