« Mais pour qu’il y ait rencontre, il faut être deux : l’occasion tient à la fois au moment de l’occurrence et aux bonnes dispositions d’une conscience qui oscille entre la verve et la sécheresse, entre les moments inspirés et les moments arides. Plus bref le passage de ce météore dans notre ciel, plus acrobatique l’effort de la conscience qui l’intercepte en plein vol. A quel moment coïncideront-elles, l’occurrence d’une seconde et l’agile conscience, la conscience aiguë ? Il faut se tenir prêt, faire le guet et bondir comme fait le chasseur qui capture une proie agile. Proie ou cadeau, l’instant occasionnel est une chance infiniment précieuse qu’il ne faut pas laisser échapper. L’occurrence peut durer beaucoup moins qu’une matinée, moins qu’une heure, moins qu’une fraction de seconde ; il arrive que l’occurrence tienne dans un battement de paupières.
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L’occasion n’est pas seulement une faveur imprévue dont il faut savoir profiter et qui veut des âmes parfaitement disponibles pour la grâce occasionnelle de l’impromptu : elle est aussi quelque chose que notre liberté recherche et au besoin suscite. Si l’occasion est une grâce, la grâce suppose, pour être reçue, une conscience en état de grâce. Tout peut devenir occasion pour une conscience inquiète, capable de féconder le hasard. C’est l’occasion qui électrise le génie créateur – car l’occasion est l’électrochoc de l’inspiration ; mais c’est pour le génie créateur que la rencontre, au lieu d’être une occurrence muette, devient une occasion riche de sens. Et c’est justement cette causalité réciproque, ce rapport paradoxal de l’effet-cause à la cause-effet, cette contradiction de la causa-sui qui donne à l’improvisation la profondeur d’un processus créateur. L’improvisation n’est pas seulement une opération hâtive, une manœuvre in extremis, bâclée et terminée à la diable ; elle désigne encore le mystère de la parturition mentale, elle est le commencement du commencement, la première démarche de l’invention créatrice à partir du rien de la feuille blanche, à partir de l’amorphe et de la parole balbutiante.»
Vladimir Jankélévitch, La fée occasion dans Quelque part dans l’inachevé
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