Leurs romans, bientôt, tiendront sous une seule et même couverture*

« C’est la question de durée qui m’intéresse dans l’amour. Précisons : par durée, il ne faut pas entendre principalement que l’amour dure, qu’on s’aime toujours, ou pour toujours. Il faut entendre que l’amour invente une façon différente de durer dans la vie. Que l’existence de chacun, dans l’épreuve de l’amour, se confronte à une temporalité neuve. Certes, pour parler comme le poète, l’amour est aussi le dur désir de durer. Mais, plus encore, il est le désir d’une durée inconnue. »

« Comment passe-t-on de la pure rencontre au paradoxe d’un seul monde où se déchiffre que nous sommes deux ? (…) Il est vrai cependant que le hasard doit être fixé. C’est une expression de Mallarmé. Il ne le dit pas à propos de l’amour, il le dit à propos du poème. Mais on peut très bien l’appliquer à l’amour et à la déclaration d’amour, avec les terribles difficultés et angoisses diverses qui lui sont associées. Au demeurant,  les affinités entre le poème et la déclaration d’amour sont bien connues. Dans les deux cas, il y a un risque énorme que l’on fait endosser au langage. Il s’agit de prononcer une parole dont les effets, dans l’existence, peuvent être pratiquement infinis. C’est bien aussi le désir du poème. Les mots les plus simples se chargent alors d’une intensité presque insoutenable. Déclarer l’amour, c’est passer de l’événement-rencontre au commencement d’une construction de vérité. C’est fixer le hasard de la rencontre sous la forme d’un commencement. Et souvent, ce qui commence là dure si longtemps, est si chargé de nouveauté et d’expérience du monde que rétrospectivement, cela apparaît non plus du tout comme contingent et hasardeux, comme au tout début, mais pratiquement comme une nécessité. »

« Dans l’amour, il y a l’expérience du passage possible de la pure singularité du hasard à un élément qui a une valeur universelle. Avec comme point de départ une chose qui, réduite à elle-même, n’est qu’une rencontre, presque rien, on apprend qu’on peut expérimenter le monde à partir de la différence et non pas seulement de l’identité. Et on peut même accepter des épreuves, on peut accepter de souffrir pour cela. Or, dans le monde d’aujourd’hui, il est largement admis que chacun suit son propre intérêt. Alors l’amour est une contre-épreuve. S’il n’est pas conçu comme le seul échange d’avantages réciproques, ou s’il n’est pas calculé longuement à l’avance comme un investissement rentable, l’amour est vraiment cette confiance faite au hasard. Il nous amène dans les parages d’une expérience fondamentale de ce qu’est la différence et, au fond, dans l’idée qu’on peut expérimenter le monde du point de vue de la différence. C’est en cela qu’il a une portée universelle, qu’il est une expérience personnelle de l’universalité possible. »

Alain Badiou, extraits d’Éloge de l’amour.

*Leurs romans, bientôt : citation tirée d’un polaroïd de Marie Richeux à écouter ici

Image: Anna Karina & Jean-Paul Belmondo dans Une femme est une femme de J.-L. Godard (1961)

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