« Dimanche », Edmond Bernhard, 1963 (19’)
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Le vide est la sensation d’un manque installé. A la place de la torpeur, quelque chose était là, aurait dû venir, rester ; là, il n’y a donc rien sinon, sans mesure, l’absence. Profondeur égale surface : dimanche, jour où tout manque, y compris l’attente. Lorsque le désir ne rencontre plus que l’empreinte de son passage, il renonce, sans bruit, s’éteint. Irréductibles à toute occupation, l’oisiveté, le loisir, sont du temps déçu, gelé. La journée, la ville que coupe Dimanche d’Edmond Bernhard sont de ce passage les traces elles-mêmes mourantes, aussi tragiquement sourdes que certains plans du cinéma d’Antonioni. 1962 c’est, en Italie, l’année de L’Éclipse. Absolument géométriques, ces images ont en commun leurs contours, qui se refusent, se rétractent, par désespoir, par timidité, par révolte, qui sait. Parce qu’ils sont réprimés, morts-nés, ces mouvements ne sont pas incompatibles. Nul regard ne vient à notre rencontre. Il n’y a pas – il ne peut plus y avoir – de regard dans lequel plonger, séjourner, pour soi-même voir. C’est du dehors, dans le manque de ce regard et pourtant, de toutes manières, rivé à lui, que l’on plonge, dès lors à vif, sans confort oculaire, dans ce qu’il se représente, et projette avec indifférence. L’état des choses résiduelles, à son image, muettes, ni mortes ni vivantes. Dimanche est une larme optique, qui éclate en noirs, en blancs, en obliques : segments d’un désintéressement, d’un temps vacant, sinistré.
Si le souvenir offre la chance de resserrer les images, de conforter, en liant, en réchauffant, en modelant leur existence, notre existence, précaire, cette chance est ici dilapidée. Il n’est pas de temps qui ne s’invente pas. Dimanche est filmé de haut, de loin, de dehors : point de vue, état de vue et état des lieux. A partir de cette hauteur, il n’y a pas d’envol possible, il n’y a que le vertige et la chute impossible, la chute retenue, insupportablement différée. On tient à peu de choses, défi à la pesanteur, aux lois de la mécanique. Peut-être sommes-nous des figures parodiant les dinosaures au Musée d’Histoire Naturelle. Mais quelle Histoire Naturelle ? Lentes, longues chaînes d’os articulés dans un semblant d’ordinaire. Plus objective, la musique dénonce le drame qui tarde à se jouer, érigeant entre les plans des écarts supplémentaires mais davantage risqués, mobiles, comme prêts à se battre.
Quais de gare, musées, lac, forêt, parc, galerie, bal : Dimanche est la promenade d’un esprit mal en chair, d’un faux ange indifférent. Aux corps enlacés le désir ne prend pas ni la rêverie au visage d’une jeune fille. Les images coulissent, s’étirent à l’horizontale, s’égalent d’un même traitement contrasté, purement pictural. L’identité de la ville s’efface. Bruxelles s’abstrait, s’oublie. Ville, espaces, regards vides, portent en eux la menace, c’est à voir, de devenir synonymes.
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Notes sur Edmond Bernhard (1919-2001) et biographie : Edmond Bernhard l’école de la liberté.