– hier transi ne fait qu’attendre –

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hier transi ne fait qu’attendre

exactement vide

plaines molles non figuratives

sol mat

dépaysement abstrait

file ainsi faite

l’addition grégaire

–  moindre relique

moindre perspective –

blason de signes

béante photographie

tonnante vitrine

tout ce qui

forclos

invite

au recensement

 des mots efforcés

qu’intéresse

le sentiment

forteresse

laissant ivre

le vivre ouvert

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peinture : Zao Wou-Ki (détail)

Publicité

– comme de voir –

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Enfoncement de sentir

Davantage encore qu’avant

Guise du peu de nous avéré

Le cœur est atteint

A voir comme d’en mourir

Témoin brutal

De ne croire autrement

Penser plus qu’extraire

Cela de soi-même

Reste un halo

Rejet égorgé

Il coule se clôt

Encre et se noie

Et tant il en est

Comme du regard

Fui des choses

Teint en veille, brûlé, pâli

L’actuel culmine

En sa propre asphyxie

Nuit sinon de jouir

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– ni dedans ni dehors –

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Ce jour-là Odradka se vit partir à la mer. L’envie s’était formée brutale, la veille, un enténébrement brusque, massif, de la conscience, qui avait duré le temps que vienne l’idée précise du départ. Aussitôt des préparatifs avaient été entrepris, du désordre la poussée qui s’organise, objectivement, un livre, un plan, du chocolat, de l’eau – cela pour éviter les cafés ou, à la limite, pour y boire autre chose -, des affaires jetées dans le sac de ville échangé contre le sac à dos qu’elle n’aimait pas. Ce qu’on a de précieux, d’utile et même, d’accessoire, on ne le serre pas contre soi si ce n’est, justement, pour éprouver cette lourdeur qui rassure, qui convertit le poids en compagnie, en contiguïté. Le projet si c’en était un,  d’aller à la mer, devait impérieusement se traduire en une action immédiate sous peine de lâcher, de s’évider d’un contenu avant toute chose, pénible. Il ne suffisait pas qu’elle y pense et parte le lendemain, il fallait qu’elle le fasse tout de suite, qu’elle commence à le faire, fût-ce symboliquement, fût-ce – c’est pareil -, méthodiquement. Un projet n’est jamais assez plein, assez profond, l’idéal, aurait-elle pu se dire, serait de plonger à l’aveugle, de prendre une avance et puis de tout défaire. Quand on ouvre, on regarde à l’intérieur, on sait ce qui manque, ce qui fera défaut, ce qui n’ira pas. Alors elle se vit marcher seule, éblouie, le regard éclairci et comme aspiré par la mer, elle se vit avoir ce regard et faillit laisser là son envie, la laisser retomber.

Odradka aurait pu se faire accompagner. Il devait bien se trouver, au nombre de ses proches, l’un ou l’autre ami que cette perspective réjouirait, une incitation plus vraie, plus paisible que la sienne, une réalité dont elle n’aurait pas à douter. Mais partir à la mer, c’était une chose à faire nécessairement seule. Elle ne se voyait pas appeler, demander, solliciter cela d’un geste qu’elle regretterait aussitôt. Non que l’idée lui déplût de se sentir emmenée, d’être reprise à partir de là où elle n’était plus certaine d’en avoir encore l’envie ou, tout au moins, la force. Ni même qu’elle ignore l’ampleur abominable des conversations qui surgissent là comme naturellement, de l’air et de la lumière, du ciel et de la passivité hallucinante de la marche. La discussion, la fulgurance propice des intelligences, elle connaissait bien cet état, voyait déjà bien au-delà, l’oubli. La trop brève escalade et après ? Après, rien, ravalée la salive, ravalées les larmes. Seulement, parfois oui, le souvenir, tu te souviens c’était à la mer. Le ton subtilement changé, revenu certes, non pas d’où l’on sait, mais d’un endroit inconnu. A cela, en toute sincérité, elle devait répondre qu’elle ne se souvenait pas, qu’elle n’avait jamais été, avec personne, en un tel endroit, tel qu’évoqué, jamais de la vie. Cet endroit, elle ne le voyait pas, ainsi non, elle ne l’aurait jamais vu. Mais il ne s’agissait pas, cette fois, de ne pas reconnaître, de récuser toute preuve du contraire redoutant l’irruption, la venue de cet état, la grâce, d’en repousser l’objet. Il s’agissait, à l’extrême du possible mué en principe, de le faire seule. C’est ce qu’elle voulait, pour preuve qu’elle irait, quitte, de ce fait, à ne pas partir.

Au large avant la mer il y avait encore la nuit. Une étendue supplémentaire à traverser, indécise bien que non moins sondée. Elle cessa ses préparatifs, chercha à s’occuper d’autre choses, à se distraire, mais, rêveuse, n’y parvint pas, préféra se coucher, fut longue à s’endormir (…)

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– Paysage mutuel –

Il n’empêche que ce qui se passe, et nous passe, demeure l’énigme.
Philippe Lacoue-Labarthe, Phrase.

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Son nom se traverse, perd le pas qui se pose
Abrupt en crevasses presque
Comme s’il ne tenait pas
Ensemble s’efface où l’on s’arrête
D’accidents pèle en chutes
Forces de se fendre
Son nom par le trébuchement
Façonne un paysage mutuel
Monde, monde rejoint
A l’étroit rivage de l’événement
(est-ce
A nous que ce mouvement s’adresse ?)
Et ce qui en dérive – est-ce seulement là ?
Les récits fuient notre mémoire (se dire,
en cela, nul abri ne fut jamais)
Epars déjà, empreintes à demi
Hier encore ils s’enlaçaient
Parcourant des distances infinies
Au balancier des mains – poème
Doigts de langue noués
Est-ce aux amants le piège ? Qu’ici donc
Resserré l’espace
Semble de plus belle se fissurer
L’aube d’une lune excessive
Leur arrache le prochain soleil
Un matin c’est le printemps
Quelle chance, quelle chance
Tombe d’une nuit immense
En elle en nous
On sait l’obscur veille
Oh il peut bien cacher le sommeil là
N’est pas n’est pas le lieu non
Même le soir
Litige son nom défait
Perd le regard
L’attendant l’imaginant
Se tait
Probablement jeté
A l’un de leurs vertiges

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capture : Nostalghia, A. Tarkovski.

Pas même mon nom, je te l’ai donné.

La lucidité

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Et pour commencer peu importe que le rêve soit fondé ne l’étant, je crois, pas plus sur autrui que sur soi-même, ni situé ni volage et par chance à perte de vue tenace, il est alors glissement toujours risqué, chant du rebord, incompris, geste orphelin, je dis pourvu qu’il soit léger. Quel enracinement quel arraisonnement pour lui sinon séjour de maladie, au demeurant tourment ? L’illusoire commence avec la prétention de dire le vrai, le miroir guette le tournant de la sensation. Attentive j’appelle une lucidité moins aberrante que méconnue, amoureuse ne tenant qu’à ce que l’on passe à travers elle comme sur injonction de penser au-delà, dévoilement dit-on à raison de ce qui se fomente, se ressource, sans doute protégé par elle du mieux qu’elle peut, c’est-à-dire faisant passer ce qui déjà s’étiole comme décisif disant il n’y a plus rien ensuite. Du rêve je dis alors pourvu qu’il l’expose  et ne s’y abandonne pas.

Patheorama

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S’ouvre la scène est ininterrompue

Bris de gestes ricoches à l’éclat

Laissons là les immédiats

Triturer nos regards

En suspens comme ailleurs

Nous voyons mieux

L’épars peut nous parler

Nous parlons également

Harangue au hasard

L’accompagnant – s’accompagnant

De si turbulents

Fonds de soi

S’ouvre la scène se précise

Fût-elle ainsi ressentie

Douce là forme surprise

Essentiellement perçue

Déposée telle

Humble chose à peine retenue

Voilée confuse – voies

De nos sens accordés

Bris en reste tout est là

Douce là forme vécue

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– Κασσάνδρα –

« Je crois que si elle est atteinte, elle l’est gravement. Je ne sais pas pourquoi, mais c’est ce que je sens. Elle vivra vraiment, ou pas du tout. Elle aura, ou perdra tout. Et je ne crois pas qu’elle aura tout. »

Henry James, Les Ailes

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Par cent, par mille – atteinte

Vont lignes tracées vite

Arrière-sons relents

Évitées vont

Valeurs en mouvement

– Signes –

Maintes raisons refoulées

– Telle en un seul – effacement –

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Tenant secrètes ses nerveuses adresses

En de soucieuses places

 Laissant s’exercer

Des immunités sages la nécessaire impasse

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Si c’est rallier l’irrésolu

Elle parle en confusion

Chahut doutes clameur

S’écoute  fourbe exécration

Bruit rompu – splendeur –

 O sublimes parentés

En l’indistinct – signes

 Réprouvés ceints d’un unanime – oubli

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Par éclats prodigieux

L’anticipé se déchire

Lames bris tranchants
Vont graves et déjà tard – aveux

L’empreinte énonce le tournant

Insiste claire atteinte

Par cent par mille prémices

Tel en un seul – inachèvement

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Capture d’écran : Le Sacrifice, A. Tarkovski

– latences –

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Vive en devenir est pensée

Mue par une visite décisive

A l’évidence d’une fenêtre refermée

Le par-delà

Recèle sa réponse

Vide ou latence – réduction

Consentement à l’emprise

Irrecevable – communion

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Vive

Scission du pas

Scandant furtif le revenir

Tumulte des riens

Tantôt sourds qui s’empressent

Au verbe –  tantôt forfaits

En dérivent

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Irascible errance

Qui chemine ose

Devenir autre – refuser –

D’une fenêtre privée

L’aveugle outrance

S’aggravant – vive en devenir –

La commune pensée se fend

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Latences houleuses

Le par-delà jaillit

D’une fenêtre renfoncée

Vive entente est pensée

Contour qui s’infinit

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Dans l’immédiat –

« J’ai pour me guérir du jugement des autres toute la distance qui me sépare de moi. » Antonin Artaud

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Nous sommes toujours avec lui, proches. A tout moment, la nuit, à contrejour, avant, après, partout, où qu’il aille, brusque départ, détour, arrêt, ailleurs. Nous ne le quittons pas, présence continue, égale. Il est ici, ou là, nous sommes autour.

Je dis nous par principe : en théorie nous formons un cercle, et c’est cela qui nous lie : la forme. Il importe qu’il nous distingue, c’est notre espoir qu’il nous reconnaisse. Il en va du sentiment, de la qualité de notre relation. Il nous unit mais plus sûrement nous monte les uns contre les autres. Surtout, il nous décèle des discordes magnifiques, discordes que nous prenons à cœur : elles sont vérités qui nous éclairent sur nous-mêmes. Nous nous y engageons, avec le sérieux qu’il impose, jusqu’à ce qu’il se désintéresse. Alors on se désintéresse aussi, on oublie. Sans lui, pourrions-nous seulement ne pas nous entendre ? En cela, peut-être n’est-il que notre témoin, car nos désaccords le précèdent. Par ailleurs il semble qu’il nous dirige ; c’est peut-être vrai et c’est peut-être notre privilège. Son emprise, cette force déterminante qu’il exerce sur nous, ce pouvoir de nous mettre à jour, de nous résoudre, de nous désaccorder, cette analyse, loin de nous offenser, nous porte. C’est notre raison d’être, qui est de ne pas le quitter. En viendrait-il à douter de nous, de notre présence, pire, à nous congédier, qui sait ce qu’il resterait de nous ? Moins que des souvenirs.

Tant qu’il nous appelle, nous apparaissons. L’un, l’autre, sollicités, nommés, sommés, à plusieurs, c’est un état d’esprit. Combien sommes-nous ? Une dizaine, deux, trois, cent ? Nul ici ne souhaite être le dépositaire d’un fait certain, même chiffré. Peu importe le nombre. Variable en humeurs. L’interrogation ne nous concerne pas davantage,  nous sommes là pour lui répondre de multiples manières. Nous nous relayons, complémentaires dans la tâche, c’est là notre limite, nulle autre affinité. Il nous agrège, nous organise. Sa disparition signerait l’éclatement. Aussi ne prenons-nous jamais la parole ensemble ; aujourd’hui est une exception. D’abord il s’est détaché. Comme s’il savait, comme s’il avait voulu, un moment, pour un motif qui lui appartient, se retirer, s’abstraire. Que faut-il comprendre ? C’est encore trop tôt pour le dire, savoir si nous lui manquons, prévenir la rupture qui nous serait fatale. Nous voyons seulement qu’il doute, et cela nous inquiète : d’habitude il doute avec nous, non pas en nous. Que faire ? Nous reculons comme renvoyés vers nous-mêmes. Ce dédain, inexplicable, nous l’avons déjà vu adressé à d’autres, et nous sommes pris de panique, déséquilibrés, nous titubons, fragiles. Esseulés, nous voici partenaires.

En ce désœuvrement nous pourrions ouvrir un dialogue. Nous ne l’avons jamais fait. Nous pourrions l’observer, non, plus à la dérobée, comme ça, de face, et en parler. Confronter nos interprétations. Le soumettre à nos différents regards. Voire, pourquoi pas, le reconstruire en images, en fragments. Notre silence jusqu’à présent – vide, subi. Il nous a tant donné, nous nous sentons encore compris, tenus. Telle pourrait être la cause de notre désarroi. Cette plénitude, ces rapports exclusifs nous en ont caché tant d’autres, peut-être superficiels, ceux que nous aurions pu nouer entre nous, ou hors de notre cercle. De là, il faut se demander s’il n’y a pas quelque chose à gagner. Quelque chose comme un événement, quelque chose de nous sans lui, quelque chose de lui loin de nous. Qu’il soit notre point de fuite, lointain, que seul il poursuive sa route, ou plutôt ses routes. Nous pouvons choisir de durer. On dira : c’est impossible. Comment allez-vous survivre ? Qu’allez-vous faire ? Qui vous occupera, qui saura, que prendrez-vous ? A cela nous répondons, avec une belle unanimité : rien ne change.

A peine quelques heures et ce nous gagne déjà en consistance. Certains ont pris la parole, quoique pour déplorer l’éloignement, le manque, mais ce faisant ils ont continué, ils débordent à présent. De qui, de quoi le sentiment de l’abandon prend-il la place ?

Plus tard on entend comme un bruit, vaguement familier, c’est l’enfant qui pleure, sans honte, sans se cacher, comme seuls les enfants osent le faire, peuvent le faire (nous ne pleurons pas). On ne voit pas bien, on a envie de deviner, de comprendre ce qui secoue ainsi cet être de rien recroquevillé, genoux ramenés sous le menton et visage enfoui dans les cheveux. Ce qu’on voit c’est des collants blancs à côtes, bien épais qui disparaissent dans des souliers vernis, rouges. Mais d’autres parlent de pantalons (blancs) et de chaussures à lacets (rouges). Difficile de se faire une idée juste. Pourtant. Les sanglots font du bruit, c’est une certitude, le bruit attire l’attention, le bruit nous tient captifs. Nous regardons l’enfant ou plutôt l’énigme, l’origine du bruit, nous devinons une bouche entrouverte, mais pas tellement une bouche, des lèvres d’un rouge vif mais inégal et en fait pas tellement des lèvres mais des yeux oui, quelque chose de bleu et devant, un rideau de cheveux, sales, c’est-à-dire pas sales en soi mais maculés de larmes et donc grisâtres, d’un aspect vieilli.

L’enfant pleure, avant c’était lui, l’enfant pleure soudain à sa place. Quelqu’un oserait-il s’avancer pour le consoler ? La peur devrait nous réveiller, nous retenir, mais nous nous considérons, fascinés, vivants sujets de son emprise – que la peur donc nous ramasse, nous peuple, étende son territoire : s’y découvrent, s’y reflètent des régions familières, peut-être immuables, témoignant de nos insuffisances. Comment pourrait-on ne pas s’y aventurer ; pour que rien ne s’écoule, quel œil faut-il enfin refermer ? Alors l’un d’entre nous s’avance et lui, on le reconnaît. Il reconnaît aussi l’enfant, puis nous et soudain, cet enchaînement de reconnaissances forme des retrouvailles et semble devoir emporter les images originaires, jusqu’aux souvenirs même en lesquelles elles se sont déposées.

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– vaine enfin vers l’hiver –

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Saison s’offre feu de pensée brève

Flanc gras de marmaille suspendue

Au pas de la peau l’humus durcit

Va mûrissant grappes d’abandon

 Froissée la couleur se racornit

L’éclat mourant douçâtre ébriété

Se met à bruiner – enfin c’est égal

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Elle s’étire, glaciale, exténuée

Évasive faut-il qu’elle se force

 Chair funèbre – à resplendir

Genèse en ténèbres

 Crépite argument fragile

Presque interdite elle

Jonche, refrène – s’irrite

Poreuse saison vaine

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 Vaine éperdument – elle foisonne

Qu’elle donne et flamboie

Vaine enfin vers l’hiver

Ce que veut l’automne

Vers le froid qu’elle s’extériorise

Cependant qu’inverse

Le vide paysage la colonise

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