C’est que le monde s’est précisément effondré (l’exigence d’un rapport différent)

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« C’est que le monde s’est précisément effondré, et que seule les tient l’impossibilité, ce breuvage qui les boit, dès qu’ils y portent leurs lèvres. Ainsi seraient-ils donc éternellement séparés ? Non pas séparés ni divisés : inaccessibles et, dans l’inaccessible, sous un rapport infini.

De même, cette passion qui par sa rapidité évoque le coup de foudre de l’instant semble aussi ce qu’il y a de plus lent. Les années passent. Tout est consommé et tout dérive dans le vague de l’inaccompli. C’est sans avenir, sans passé, sans présent ; c’est un désert où ils ne sont pas là, et ceux qui les cherchent ne les trouvent que perdus, dans le sommeil de leur absence incompréhensible. Aussi dire d’eux qu’ils sont fidèles est dérisoire : pour être fidèle, il faut être uni à soi-même, il faut disposer du temps et s’engager dans le temps par le serment d’une relation réelle.

La passion se produit dans le temps, la rencontre a lieu dans le monde, cela commence et prend fin : telle est l’histoire comme on la voit et la raconte. Mais la passion, limitée selon le temps du jour, ne connaît pas ces limites dans la nuit à laquelle elle appartient.

Quand l’absolu de la séparation s’est fait rapport, il n’est plus possible d’être séparé. Quand le désir s’est éveillé de par l’impossibilité et de par la nuit, le désir peut bien prendre fin et le cœur vide s’en détourner : dans ce vide et dans cette fin, dans cette passion rassasiée, c’est l’infini de la nuit elle-même qui continue de se désirer, désir neutre qui ne tient compte ni de toi ni de moi, qui apparaît donc comme un mystère où sombre le bonheur des relations privées, échec pourtant plus nécessaire et plus précieux que les triomphes, s’il tient cachée et réservée l’exigence d’un rapport différent. »

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Maurice Blanchot, extrait-collage d’Orphée, Don Juan, Tristan, dans « L’Entretien infini » (citation non-complète)

Voir aussi : De même que dans l’amour cette illusion existe