Anselm Kiefer, du rebord de ce qui va suivre.

« Les ruines sont comme la floraison d’une plante, l’apogée rayonnant d’un métabolisme imperturbable, les prémices d’une renaissance. Et plus l’on diffère  le remplissage des espaces vides, plus le passé qui s’avance tel un reflet du futur peut s’accomplir en totalité et avec force.
Il n’y a pas de degré zéro. Le vide porte toujours en lui son contraire.»

A. Kiefer, (Discours de Francfort)

Anselm Kiefer, Lilith au bord de la mer Rouge.

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Comment entrer dans ce qui nous environne déjà ? La réponse est toute simple si  c’est l’attention qui nous dirige et que rien d’autre n’importe que l’approche : en entrant davantage, plus avant, portes après portes, s’enfonçant, s’effaçant. Dedans comme dehors, l’intériorité semble si confuse qu’elle enfièvre, affole, déboussole. Comme une seconde nature,  l’œuvre d’Anselm Kiefer crée un environnement : textures donnant sur textes donnant sur images donnant sur – quoi au juste ? Un labyrinthe, un nulle part épais de matière et de vide, entre mémoire et imaginaire, individu et collectivité, visible et invisible, verbe et bruit, intelligence et sensation. Calme métal en surface, feu accidenté bouillonnant en profondeur.

L’invitation peut sembler facile, l’accès trop ouvert. Quelle approche ? Comment tant de matériaux – toile, peinture, encre, photographies, schellac, paille, sable, cendre, plomb, sciure, bois, goudron, plâtre… – ne font-ils pas obstacle ? Les reliefs qui entravent et font trébucher semblent là pour envelopper, le brouillard pour apaiser.  N’est-ce pas là un trompe-l’œil, l’ouvrage d’un démiurge habile, pire, les reliques scabreuses d’une idéologie infecte ? Se méfier : la mise en scène du grandiose peut trahir une volonté de puissance. Se méfier : Anselm Kiefer, allemand né en 1945, le goût du gigantesque, l’atelier-usine, le goût du vertical, la forêt, les cryptes, le goût des légendes, les Nibelungen, le goût du Passé, le goût de l’ambiguïté : faut-il y déceler quelque grondement wagnérien ?

Hypothèse à éclaircir, obligation de mettre en cause la fascination : retour sur soi, introspection, retour sur l’auteur, prospection. Par exemple, en guise de témoignage : Rencontres pour mémoire : une longue conversation entre Anselm Kiefer et Daniel Arasse, éminent historien de l’art et ami de l’artiste. Témoignage ou amorce de commentaire : l’intérêt du document est multiple. L’amitié peut certes déforcer la portée critique, elle ne devrait pas moins être la source d’une bienveillance et d’une connivence propices à la parole. C’est sans compter l’extrême réserve d’Anselm Kiefer et son embarras vis-à-vis de la langue française qu’il pratique pourtant couramment, puisque résidant en France depuis des années (Barjac et aujourd’hui Paris). Aussi, malgré une durée conséquente (cinq émissions d’une heure, originellement diffusées sur France Culture), la conversation reste conviviale, peu engagée. Anselm Kiefer se plaît à raconter des histoires sans se raconter lui-même, ses interventions sont brèves, réticentes, non dénuées de pudeur. Aujourd’hui encore, (les Rencontres datent de 1991 ; Daniel Arasse étant décédé en 2003), c’est ainsi qu’Anselm Kiefer mène ses cours au Collège de France. Les Rencontres pour mémoire se présentent alors comme un survol de l’œuvre, un effleurement de la personne. Quelques heures en présence d’une sensibilité singulière, imposant cette distance qui est prière d’en revenir à l’œuvre.

Anselm Kiefer, La vie secrète des plantes (« A  chaque plante sur la terre correspond une étoile dans le cosmos. » Robert Fludd)

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Ami, admirateur et spécialiste d’Anselm Kiefer, Daniel Arasse est l’auteur d’une très belle monographie. S’efforçant de faire face à l’œuvre, résistant à son appel, il parvient à poser sur elle un regard critique, n’éludant pas cette fois ses aspects polémiques. Il analyse les structures, thèmes et figures, envisage la valeur de chaque matière et la diversité des supports. Suivant la chronologie circulaire (ou obsessionnelle) de l’artiste, Daniel Arasse soumet son propre commentaire à une synthèse herméneutique conséquente. C’est donc une étude remarquable tant au niveau rédactionnel qu’iconographique. En outre, on découvre la partie cachée de l’œuvre : les livres d’Anselm Kiefer. Livres-objets, livres presque impossibles à feuilleter, imbriquant des reliques, livres-labyrinthes, monumentaux. Au fil du temps de plus en plus lourds, d’abord en papier puis en plomb, toujours travaillés dans la matière, collages, photographies, bribes de texte, débris divers. Difficilement consultables et rarement exposés, ils hantent les souterrains de Barjac, à l’exception de ceux que l’artiste a scellés et rassemblés en bibliothèque-sculpture (Mésopotamie – la Papesse et La brisure des vases). En taille, en poids, en contenu et en technique, les livres ne diffèrent pas des tableaux, leur correspondent et sont, non pas des brouillons mais des prémices, témoins d’une recherche qui va sans fin, naissance et cristallisations des idées, recyclage, déclin ou rémanence.

Les tableaux viennent au jour comme autant de synthèses provisoires de ces livres invisibles. Inachevés, ouverts, thèmes et figures se déclinent en motifs, propositions, études de sens et dérivations progressives (Lilith, Sephirot, Isis et Osiris, Reines de France…). L’œuvre, de l’obscur à la lumière, se développe selon un processus de sédimentation qui la rend insaisissable et contraire à toute visée totalitaire. En mutation constante, elle se fuit, et les reliques qu’elle arbore témoignent d’une vulnérabilité qui interpelle, demande qu’on vienne à elle – invocation et convocation.

Fragiles et défaits, tels sont aussi les mythes lorsque l’œuvre les incorpore. C’est une exégèse très personnelle que pratique Anselm Kiefer, une forme de réécriture en deux temps : appropriation puis désaisissement. Comme les mythes, les tableaux sont voués à être repris, effacés, retravaillés à vif. Ou bien détruits. Significativement, de l’œuvre laissée à l’érosion seule demeure la persistance. Et la durée triomphe de l’épuisement. Le plomb (le toit de la cathédrale de Cologne), le sable, la cendre, les végétaux, alimentent la toile de leur histoire et de leur vie propre, puis, exposés aux phénomènes naturels, la pluie, le vent, le soleil, ils vivent encore et leur histoire continue. Configurée dans l’indétermination, l’œuvre n’est certes pas abandonnée au hasard, mais elle est toujours en devenir, manquant à elle-même et ayant pour raison d’être de rendre ce manque manifeste.

Alchimie, mythologies, histoire, philosophie, sagesses orientales, sciences, littérature : les sources d’inspiration d’Anselm Kiefer sont innombrables, constitutives, opérantes. Comme les matières, les données sont brutes : cheveux, chiffres, plantes, fragments métalliques et citations. Ces dernières, en toutes lettres et ostensibles, intitulent les tableaux, remplacent la signature absente. Citations d’Ingeborg Bachmann : Mon âge, ton âge et l’âge du monde ; Le sable des urnes ; Au campement tzigane, au désert sous la tente nous veillons, le sable nous coule des cheveux ; J’ai vu le pays du brouillard, j’ai mangé le cœur du brouillard ; citations de Paul Celan : Margerete – Sulamite ; Tes cheveux d’or, Margerete ; Pavot et mémoire. Citations des poètes russes Khlebnikov et Mandelstam, de Robert Fludd, physicien paracelsien et astrologue du XVIIème siècle (La vie secrète des plantes), de Heidegger. Ces contenus ne sont pourtant pas retenus longtemps et, laissés à eux-mêmes, ils ne stagnent pas, ils interagissent, l’auteur, lui, n’étant qu’un passeur. De fait, il se désincarne – retrait avisé : son corps en position d’asana. Dès lors, l’homogénéité de l’œuvre n’est pas affaire d’organisation, puisque le créateur se retire, mais le fait d’un organisme autonome dans lequel chaque élément mythique, poétique ou historique est à la fois mis en exergue et digéré, soumis à d’autres présences, à d’autres absences.

Il est essentiel de comprendre ce que la démarche d’Anselm Kiefer assume du passé, de l’Allemagne, de la Shoah. « Ma biographie est la biographie de l’Allemagne », affirme-t-il, prenant sur lui, sur l’œuvre, cet impossible deuil. A cet égard, la conversation imaginaire qu’il entretient avec la poétesse autrichienne Ingeborg Bachmann (morte en 1973) est significative. Tous deux enfants de la guerre nés du côté coupable, sentent qu’ils doivent et qu’ils ne pourront jamais réparer, ressusciter, reconstruire. A ce premier deuil s’ajoute un second, celui de la culture juive qui, avant la guerre, est encore intimement mêlée à l’identité allemande. Explorant d’autres voies que celles de la vaine nostalgie, Anselm Kiefer ne se pose ni en provocateur (quoi qu’on ait pu le croire à ses débuts, sa carrière ayant démarré sur un scandale*) ni en contemplateur. Il invoque le passé pour mieux l’éloigner de ce qu’il était, et ne sera plus, pour s’éloigner lui-même ensuite. Par ce mouvement de retrait, qui est désignation du vide souverain, le passé est déjà comme étranger à lui-même, il perd sa définition temporelle – sa finitude – est rendu disponible, c’est-à-dire disposé pour devenir.

Du moment que la toile n’est plus surface de représentation, mais support de présence, elle engendre sa propre archéologie, s’élevant à mesure que ses racines s’enfoncent. Elle s’externalise, restitue ce qu’elle emprunte, ne semble rien vouloir garder pour elle. Ainsi s’ouvre un théâtre de la mémoire, mémoire qui sans appartenir à personne s’écoule doucement, pleut comme débris, fuit, répand la mélancolie. Nulle dramaturgie mais bribes s’évaporant dans l’air, légères, présage et régénérescence. Légèreté voulant dire vulnérabilité, présence qui demande à s’exprimer, silence qui témoigne, absence, du rebord de ce qui va suivre.

Anselm Kiefer, Aperiatur terra et germinat salvatorem (Que la terre s’ouvre et engendre un sauveur).

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* Son tour de l’Europe photographié : tenue militaire et salut nazi.

Voir aussi Tsimtsoum, EIn-Sof…

Anselm Kiefer, Daniel Arasse : « Rencontres pour mémoire », Editions du Regard et France Culture, 2010 –

Daniel Arasse, Anselm Kiefer (Editions du Regard).

Anselm Kiefer : cours au Collège de France.

Hors-champs : entretien d’Anselm Kiefer avec Laure Adler

Pas la peine de crier : entretien d’Anselm Kiefer avec Marie Richeux, cinq capsules de 10′, du 07/02 au 11/02) – ici première émission.

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Tsimtsoum, Ein-Sof : Contraction, Lumière sans Fin. Mythe de la brisure des vases.

Anselm Kiefer, Tsimtsoum ou Zim-Zum, huile, émulsion, schellack, craie et cendre sur toile en plomb (1990).

« Selon la tradition, les juifs ne désignent jamais Dieu par un nom explicite. Ils emploient  des circonlocutions, des termes négatifs qui signifient le rien sans limite. On peut comparer la venue au monde d’un tableau à ce que le rabbin Isaac Louria nous dit du tsimtsoum (la contraction) : un espace vide et gardé en retrait par le Ein-Sof (Lumière sans Fin) dans lequel le monde peut se déployer de manière imparfaite et figurative. Le tableau, dans son échec (et il échoue toujours), éclairera fût-ce faiblement la grandeur et la splendeur de ce qu’il ne pourra jamais atteindre. Notons au passage que dans le Zohar (l’un des livres de la Kabbale), les mystiques doivent se tenir droits sans pieds ni mains, lesquels ont été brûlés. Ainsi selon moi doivent se tenir les entités politiques appelés États, qui ne se réaliseront jamais dans leur essence mais dans ce qu’il leur sera nécessaire au mieux pour ne pas être rien : capter la lumière. »

Anselm Kiefer, Discours de réception à la Knesset pour l’obtention du prix Wolf, 20/05/90. Texte paru dans Rencontres pour mémoire, Editions du Regard, 2010.

Anselm Kiefer, Chevirat Hakelim (Le bris des vases):  Sculpture, « bibliothèque surmontée d’un demi-cercle de verre sur lequel est inscrit le nom kabbalistique de Dieu, Ain Soph (infini) ; les noms des sept sephirot sont écrits sur des bandes de plomb encadrant la bibliothèque ; de nombreux fragments de verre sont glissés entre les livres ou jonchent le sol tandis que des lanières de plomb tombent irrégulièrement depuis le demi-cercle de verre jusqu’à terre. » (D. Arasse)

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Le mythe de La brisure des vases (Chevirat hakelim) désigne, selon Isaac Louria, le second moment de la création du monde. Le retrait de Dieu ou Tsimtsoum, (premier moment) crée un vide. Il subsiste un résidu de lumière. Celle-ci infiltre dix vases (10 sefirot) et cherche à rejaillir, à se répandre sur le monde. Soumis à une tension extrême, les sefirot volent en éclats, seules les trois premières résistent ainsi que, dans une moindre mesure, la dernière sefira. Lumière et débris se séparent, se désorganisent, se retrouvent… (troisième moment). La brisure des vases parle de séparation et d’impossible unité, est déréliction source de mélancolie. Le mouvement de réparation qui incombe aux hommes – leur histoire – se nomme tikkun.

Le Tsimtsoum imprègne également la pensée de Lévinas :

« L’Infini se produit en renonçant à l’envahissement d’une totalité dans une contraction laissant une place à l’être séparé. Ainsi, se dessinent des relations qui se frayent une voie en dehors de l’être. Un infini qui ne se ferme pas circulairement sur lui-même, mais qui se retire de l’étendue ontologique pour laisser une place à un être séparé, existe divinement. Il inaugure au-dessus de la totalité une société. »

Emmanuel Lévinas, Totalité et infini.

(Plus de détails sur ce mythe et sur le travail d’Anselm Kiefer dans la Chapelle de la Salpêtrière ici).

Ci-dessous : Sephirot, sable sur photographie montée sur châssis en bois,  (1997).



Léo en jouant dans la compagnie d’Arnaud Desplechin.

Arnaud Desplechin, « Léo en jouant Dans la compagnie des hommes » et « Unplugged », d’après la pièce d’Edward Bond, avec Sami Bouajila et Jean-Paul Roussillon, France, 2003.

« Je me suis persuadé que s’il n’y avait pas de films, il n’y aurait pas de monde. Comme tout se déréalise, il y a beaucoup plus de réalité au cinéma. Aujourd’hui, on ne voit plus rien dans le monde. L’argent, il n’y en a plus. Il n’y a plus d’oppression, plus de prolétaires, il n’y a plus que des images… Tout devient absolument virtuel, le monde a de moins en moins de consistance. Mais je ne pense pas que ce soit terrible : c’est le cinéma qui est chargé de constituer le monde. Quand le cinéma est bon , il y a un peu plus de monde. » Arnaud Desplechin, L’avant-scène cinéma n°572.

Léo et son père

Que le film soit coupé en trois, le titre l’expose avec clarté. A droite, La compagnie des hommes, pièce du dramaturge anglais Edward Bond. A gauche, en tête et déjà isolé, Léo. Au milieu, césure délibérée, en jouant. Où sommes-nous ? Au théâtre, au cinéma, à l’intersection, à l’extérieur ? Réponse équivoque : en pleine tragédie. En plein conflit, au confluent des êtres et des rapports. Or la voilà coupée en trois et par là démultipliée, feux et faisceaux, comme si la distanciation, les ruptures, les faux raccords, comme si le fait que la tragédie soit sans cesse renvoyée à elle-même, recentrée sur le jeu ne faisait que la rediriger plus assurément sur nous, jeu de scène devenant jeu de reflets.

Admettons, resserrons : nous sommes au théâtre. La trame, ligne claire et proprement structurée, correspond à l’idée que l’on se fait aujourd’hui de l’épure classique. Il est question d’un royaume assiégé, d’un roi déclinant, d’un héritier pressé de s’emparer du pouvoir et d’une cour avide d’en tirer profit. Ce qui, traduit en éléments modernes, devient : une compagnie d’armement, un directeur général, son fils (Léo), leur entourage. Léo est appelé à prendre la place de son père, telle est du moins son ambition, son désir. La compagnie vient d’échapper de justesse à une tentative d’OPA, c’est le moment que Léo choisit pour réclamer son droit de siéger au conseil d’administration. Droit qu’il se doit, pense-t-il, sinon d’exiger, de prendre par la force : Léo est le fils, certes, mais le fils adoptif. Différentiel de sang  signifiant peut-être impossible partage des biens. Doute effroyable : plutôt qu’enfant légitime, héritier, Léo n’est-il pas l’égal du domestique à la peau noire et au passé trouble, ombre et spectre intime ? Léo est-il l’élu ou l’exclu ? Et comme pour confirmer son angoisse, le père refuse, avec autant de sagesse que de hargne. Léo a une vision : il se voit soudain couvert de sang – le sien ou celui de son père. Sans s’interroger davantage, impatient, malavisé, préférant croire que son père le met au défit et, s’il s’agit de mépris, voulant prouver sa valeur, il succombe aux avances de l’entourage. La machine infernale peut se réactiver : tel Œdipe voulant échapper à son destin, il se précipite à sa rencontre.

A partir de ce canevas – celui de La compagnie des hommes – élargissons. Car nous sommes aussi chez Desplechin, il y a ce que son adaptation supprime et ce qu’elle rajoute. Quelle est sa motivation ? Pourquoi cette pièce, pourquoi Edward Bond ? Interrogations essentielles s’agissant d’un réalisateur avisé, très conscient de son travail et, par ailleurs, le plus souvent auteur des scénarios qu’il filme. Ce projet semble pour lui synthétiser deux aspirations complémentaires. La première consiste à varier les formats. En l’occurrence, il s’agit de tourner vite, avec des moyens réduits, mais aussi de réaliser un diptyque. Nous y reviendrons. La seconde concerne plus directement le contenu de la pièce originelle, qui lui semble receler un élément fondamental négligé par le cinéma français : le discours sur les gouvernants. Evidemment Desplechin n’a rien du cinéaste engagé. Par « dirigeants », il entend les rois et reines qui peuplent l’imaginaire de l’enfance. En se privant d’eux, le cinéma se prive d’une partie de son enfance. Soucieux – comme toujours – de dégager en tout récit, en tout événement, un arrière-fond mythologique, Desplechin s’emploie à débarrasser La compagnie des hommes de sa gangue idéologique. C’est qu’Edward Bond est un auteur viscéralement marxiste ; son théâtre et ses essais appuient une lecture radicale de la société contemporaine, son verbe imprécatoire ne parlant jamais que de lutte des classes. Desplechin le prend donc en traître, ce qui ne rend pas son Léo moins pertinent. Au contraire, tant ce qu’il ôte est compensé par un fond autrement plus ample, plus puissant. Je veux parler des fantômes de Shakespeare.

C’est ici l’occasion d’évoquer brièvement comment se déploie le processus créatif du cinéaste. Tout part du désir de « ramener les mots chez soi ». Paraphrasant Emerson, Desplechin signifie par là son ambition de se saisir du savoir, de la littérature, des sciences, de la philosophie, de la musique, des arts plastiques, etc, afin que, soustraits à l’élitisme qui les maintient, pourrait-on croire, hors du monde, hors de portée, ils paraissent, dans la belle lumière du cinéma, plus proches,  redeviennent accessibles. S’il considère le cinéma comme un art populaire, c’est bien pour le tirer vers le haut, comme moyen de transmission. Nourri de lectures et plus encore d’interrogations sur ses lectures, Arnaud Desplechin fait du champ de la connaissance le réservoir matériel de ses scénarios. Il y puise des noms, des bouts d’intrigue, des rapports, des idées. En un mot : l’inspiration. A titre d’exemple, les biographies de R. W. Emerson et H. D. Thoreau sont reprises par morceaux dans Un conte de Noël, assorties d’éléments médicaux aussi détaillés que rigoureusement exacts ; pour Rois et reine, outre le titre en citation tronquée d’un poème de Michel Leiris (Rois sans arroi/ Reine sans arène/Tour trouée/Fou à lier/Cavalier seul), il faut signaler l’ « invocation » d’un célèbre ethnopsychiatre (le docteur Devereux). Partout, tels les cailloux du petit poucet, sont disséminés poèmes, citations, extraits de films, allusions, tandis qu’à eux seuls les prénoms des personnages racontent d’autres histoires, parfois plusieurs à la fois (Ismaël dans Rois et reine renvoie autant à l’Ancien Testament qu’au narrateur de Moby Dick). Et comme si cela ne suffisait pas, le cinéma a également le pouvoir de replacer le mythe au cœur du quotidien, d’entretenir sa nécessaire rémanence qui est mémoire et  imaginaire, filiations filées faisant retour sur l’intime. Pourquoi le mythe ? En quoi constitue-t-il aujourd’hui une nécessité ? La réponse peut paraître décourageante, alors même qu’elle n’est que spécifique. Le mythe prend toute sa valeur par rapport à la mort. En effet, Desplechin est ce qu’on appelle un artiste d’après Auschwitz, autrement dit un artiste ayant intégré la sentence d’Adorno (après Auschwitz, on ne peut plus écrire de poèmes) et sachant y répondre d’une manière très personnelle, en mettant la mort au centre de son œuvre. Ici il conviendrait de reprendre les films un par un pour en désigner les morts, et ils ne font pas défaut, qu’ils soient métaphoriques comme dans Comment je me suis disputé et Esther Kahn (laisser mourir une partie de soi-même), ou réels : crâne anonyme de La sentinelle, suicidé de La vie des morts, les deux pères dans Rois et reine, Joseph dans Un conte de Noël. Seulement la mort n’est pas une fin, elle est possibilité de renaissance, fondation inversée. Aussi les films de Desplechin débordent-ils de vie, de mémoire, de mythes comme autant de racines grouillant et proliférant sous les souffrances de l’ici et maintenant.

Construit et référencé, le cinéma de Desplechin l’est tout autant que fidèle à un imaginaire, qui est son intériorité, sa vérité cachée. Omniprésent, omniscient, le réalisateur est au cœur de ses films et cependant invisible, point de vue, point de départ mais non de ralliement. C’est là le second temps d’un processus créatif d’ailleurs fort long, la mise en scène. Travail essentiel que Léo en jouant dans La compagnie des hommes met en lumière, du moins en partie.

Il y a, nous l’avons vu, deux versions, deux films. Léo… et Unplugged : l’histoire filmée dans les décors, et le travail préparatoire avec les acteurs, effectué dans un gymnase, sorte de répétition générale (c’est un texte suivi) dont certaines séquences figurent également dans Léo. Deplechin y apparaît moins comme un metteur en scène interventionniste que comme le maître du jeu. Il redistribue les rôles, intervertit les interlocuteurs, donne lui-même la réplique et, plus important, introduit Shakespeare. Très loin de travailler à l’horizontale, de pratiquer l’art du collage, Desplechin vise la profondeur, cherche à comprendre ses personnages en les mettant en résonance avec des personnages antérieurs. Léo porte Hamlet en lui, Ophélie apparaît, et les autres suivent… La démarche qui consiste à creuser le sujet à l’aide d’autres sujets provoque un effet d’échos saisissant. La conduite de Léo (et des autres personnages) se place dans une perspective qui la rend plus énigmatique, plus intense. En développant les possibles, Desplechin féconde le scénario, il le déverrouille, le remet en jeu. En l’éloignant de lui-même, il s’en sépare et le sépare, y introduit une dissemblance qui annule tout retour direct vers lui et condamne toute interprétation définitive.

Enfin, après la mise en scène, la mise en images impose de nouveaux questionnements. Par exemple, le réalisateur peut vouloir contrarier le texte par le mouvement, un acteur faisant l’inverse de ce qu’il dit, ou parlant sur un ton qui infirme le sens de ses paroles. Ou bien, et c’est le cas de Léo, procédé hitchcockien par excellence, il opère une réduction de la scène à un objet : c’est l’histoire d’un verre de whisky, l’histoire d’une clef, l’histoire d’une cartouche, d’une chemise, etc. En comparant les deux versions, on peut se livrer au jeu des différences et en tirer quelque enseignement sur les méthodes du réalisateur, mais on sent que la véritable mise en scène se passe hors-champ. Ce que Desplechin montre au travers de Léo et Unplugged n’est que très peu de choses, une présence facilement identifiable, essentiellement interrogative, et au milieu de tout cela, une obscurité à partir de laquelle les idées se frayent un chemin vers l’extérieur.

Le va-et-vient du cinéma aux répétitions, le vacillement que produit la caméra portée à l’épaule, l’articulation tremblée du texte induisent un vertige dont on ne sait si, imposé par l’ambiance, il traduit le psychisme des personnages, ou si, antérieur à la scène, il les emporte jusqu’à cette limite d’eux-mêmes qu’ils ne peuvent ni franchir ni éviter. Ce vertige agit à travers eux tel le mauvais génie de la tragédie, le fatum.

En se retournant contre le spectateur, l’indécision devient possibilité de catharsis. Il ne s’agit pas de déchiffrer mais de prendre conscience. Il y a en Léo une ambivalence qui fascine plus encore que celle de son père, laquelle peut facilement se résorber au fait qu’il est le roi convoité, fragilisé par ses possessions et fort de son pouvoir (même si l’interprétation de Jean-Paul Roussillon le porte bien au-delà de sa fonction), ou celle de l’entourage classiquement cupide et manipulateur. Léo a une voix très douce, une voix qui exprime une réticence – non pas à l’égard d’autrui, mais vis-à-vis de lui-même, ou de quelque chose en lui-même, quelque chose de sombre, d’insaisissable, de terrifiant. Cette réserve n’est alors que la forme malade que prennent  l’envie certes,  mais plus encore la peur propageant l’angoisse et la tenant pour réelle. Léo ne se coupe pas en deux mais il se découvre un double, à la voix aussi désagréable que la sienne est douce, aux gestes aussi abrupts que les siens sont harmonieux. Homme non pas du souterrain, mais du sous-marin, son égal, son frère, aussi fou que lui. A eux deux, ils offrent le visage ambigu d’un Janus se haïssant lui-même, violence et douceur – rapport à la vie qui est rapport à la mort.

Arnaud Desplechin

Arnaud Desplechin, « Léo en jouant Dans la compagnie des hommes » et « Unplugged ».

Filmographie D’Arnaud Desplechin

Edward Bond (1934). Outre une œuvre considérable pour le théâtre (par exemple Pièces de guerre), il est également auteur de scénarios : Blow up (Antonioni, 1967), Michael Kohlhaas (Volker Schloendorff, 1968), Laughter in the dark (Tony Richardson, 1968), Walkabout (Nicholas Roeg, 1971), Nicolas and Alexandra (Franklin Schaffner, 1971).

Orphée désoeuvré

« Je me demande parfois si mon malaise perpétuel ne vient pas d’une incroyable indifférence aux choses de ce monde, si mes œuvres ne sont pas une lutte afin de m’accrocher aux objets qui occupent les autres, si ma bonté n’est pas une effort de chaque minute pour vaincre le manque de contact avec autrui.

Sauf s’il m’arrive d’être le véhicule d’une force inconnue que j’aide gauchement à prendre forme, je ne sais ni lire, ni écrire, ni même penser. Ce vide va jusqu’à l’atroce. Je le meuble comme je peux et comme on chante dans le noir. En outre, ma bêtise de médium affecte un air d’intelligence qui fait prendre mes maladresses pour une malice extrême et ma démarche de somnambule pour une agilité d’acrobate.

Il y a peu de chance que ce malentendu s’éclaire un jour et je pense qu’il me faudra souffrir, après ma mort, d’un malentendu analogue à celui qui m’empêche de vivre.

Plus j’ai de travail manuel, plus j’aime à croire que je participe aux choses terrestres et plus je m’y acharne, comme on s’accroche à une épave. C’est pourquoi j’ai abordé le cinématographe, dont le travail est de chaque minute et m’éloigne du vide où je me perds. » Jean Cocteau, « Entretiens autour du cinématographe » recueillis par André Fraigneau, Collection Encyclopédie du cinéma, Paris, 1951.

C’est Orphée tel qu’il est devenu, discordant, légèrement bancal. Il nous reçoit dans ses brèches, nous y précipite, par étourderie, par indifférence, des brèches qu’il creuse lui-même et qui, ironie tragique, le protègent tandis qu’elles perdent ceux qui l’aiment. Idée vieille, idée fausse: croire qu’il suffit de provoquer un accident pour  échapper au hasard, qu’il suffit de rêver pour dormir, de fermer les yeux pour que le réel disparaisse. Sans doute cet Orphée-là, moderne en apparence et en accessoires, est-il très vieux. De visage et de stature, en marbre, un destin blanchi sous la poussière. Si vieux qu’il n’est presque plus vivant. Le poète – Cocteau – s’identifie encore au mythe, mais Orphée, lui, envie les hommes. Ni le mythe ni le poète n’ont plus suffisamment de sang pour irriguer leur dédoublement ; en ces temps parcimonieux, l’un et l’autre sont divisés. Si l’incarnation a bien lieu, au cinéma par exemple, mais aussi au théâtre (Cocteau écrit une première version pour la scène en 1926), le manque s’accentue, il y a moins de mythe, moins de poète. Pour Cocteau, tout comme lui-même, Orphée est à moitié mort.

Peut-il y avoir une poésie après le déclin du poète ? Orphée déçoit. Il vivote médiocrement. Pire : la création n’est pas le résultat d’un excès (de sensibilité, de vie), elle remplace la sensibilité, la vie qui lui font défaut. Voilà le triste, le pathétique Orphée. Son épouse, Eurydice, il ne l’aime pas, il la regarde à peine. La vie l’ennuie, le succès l’énerve, il râle, rechigne, sa souffrance ne vole pas haut. D’ailleurs, il n’écrit plus. L’inspiration est tarie. À ce point-là, il n’est plus rien.

Orphée évolue dans un décor bourgeois, d’une richesse crémeuse. Derrière lui, bien en évidence, Cocteau-l’agité tire les ficelles, il ne se cache pas, au contraire. Désireux de susciter le questionnement plus que l’hypnose, le réalisateur opère moins en illusionniste qu’en dialecticien. La magie est belle dans ses rouages ; elle ne doit pas tromper le réel mais dénoncer, dans le réel, tout ce qui trompe. Face à ce qu’il crée, Cocteau est d’une très grande force de dissuasion. Adepte de la désynchronisation de la musique et de l’image, il insiste sur le concret, les corps, les décors, les actions, le scénario, pour mieux en révéler les failles. Mal à l’aise entre ce qu’il fabrique et ce qu’il est, il désigne, en y plaçant Orphée, la position de celui qui est enfermé dehors. À l’extérieur, dans la Zone, région d’indétermination entre la vie et la mort, qui ressemble à un réel sans pesanteur, sans gravité, un couloir de flottement. Sorte de rêve conscient, la Zone l’exclut du quotidien, dont il est cependant physiquement captif. À la fois triviale et sublime, la Zone est le territoire nauséeux de la clairvoyance.

L’aller-retour d’Orphée aux enfers (en passant par la Zone) échelonne les contradictions : loi, désobéissance, quotidien, exception, ancien, moderne, morts, vivants, réel, irréel, beau, laid, ridicule, grandiose, amour, indifférence… Ainsi exposées les unes à la suite des autres – ainsi proférées – ces valeurs, qui étaient celles de l’antique poète, s’effondrent. Tout se mélange, tout se divise selon une logique de l’illogisme. En triomphant de la Mort, le poète, familier des concepts, contemporain de tout événement de l’esprit, appréhende ce nouveau paradigme et se leste du passé. Car c’est bien à lui de faire l’état des lieux, de pièces en pièces, juxtapositions, morceaux qui flottent, sans identité, sans signification.

Tel est le devoir du poète et l’échec d’Orphée. Devant tant de difficultés, lâche, fragilement romantique encore, il renonce à la poésie, il démissionne. Oh ! cette démission n’a rien d’un acte réfléchi, posé, assumé, Orphée ne décide rien, il se laisse aller, se laisse emporter par une voiture inconnue. C’est là, sur une petite route de campagne, qu’il fait la découverte de son échappatoire : une radio. L’objet providentiel, qu’il croit branché sur l’au-delà, diffuse des messages énigmatiques, des sentences, des codes qu’Orphée identifie à des poèmes. Subjugué, le voilà pris de fièvre, il se met à transcrire avec acharnement tout ce qu’il peut capter, allant jusqu’à passer des journées entières dans son garage, dans la voiture, à l’affût du moindre bout de phrase. Inspiration divine ou blague grotesque ? Hélas – la réalité est toujours un mélange – les deux à la fois ! La frénésie d’Orphée est le résultat d’une machination. Pour occuper le jeune homme, la princesse (figure de la Mort) a chargé un de ses serviteurs, Cégeste, poète à la mode avant sa propre fin violente, de prendre le micro. Cégeste s’exécute mollement, avec le peu de talent (et le succès) qu’il avait de son vivant. Qu’importe, Orphée accepte tout. D’un narcissisme d’autant plus acharné qu’il ne croit plus en lui-même, il succombe à un ésotérisme creux, à cette forme dégradée de la poésie qu’est l’enregistrement superficiel de l’immédiat. Cocteau ne se livrerait-il pas ici à une critique déguisée des surréalistes? Quant à l’assignation particulière qu’il donne à la radio, elle se fonde avec raison sur le fait que, avant la télévision bien sûr, et avant internet, la radio est le médium par lequel les solitaires entendent le monde sans avoir à lui répondre. Et croient le saisir. Celui qui écoute la radio occupe la position d’un voyeur auditif, qui surprend la vie des autres dans l’ombre, qui observe sans être vu et qui, de surcroît, se persuade qu’il est aux prises avec le réel.

Que vaut cet au-delà bavard et envahissant qu’Orphée tient pour digne d’être religieusement retranscrit ? De façon assez prévisible, il est peuplé d’êtres pitoyables, procéduriers, mesquins. L’autorité sotte produit des cercles vicieux – les cercles de l’Enfer. On évoquera brièvement, sans insister, quelques similitudes entre ce tableau et celui que dresse Kafka dans Le Procès et Le Château, dont les premières traductions françaises datent respectivement de1933 et1938.

Isolée, différente, la princesse fait exception – mais qui est-elle ? Cette créature terrifiante, indéchiffrable, glaciale et passionnément amoureuse, elle seule semble se démarquer des autres personnages à la fois par son intégrité et pas sa force morale. Qui est-elle ? La question importe peu puisqu’elle est hors du monde, sublime émanation de la Zone, vainement inexistante.

Peut-il y avoir une poésie après le déclin du poète ? La démystification de l’un est le constat initial qui permet à Cocteau de re-mythifier l’autre. On voit que Cocteau appréhende le cinématographe en poète. Le film compense la poésie que son personnage trahit; il la reconstruit autour de lui et la rend opérante. Ce moment attendu correspond à cette épiphanie dont parlent certains cinéastes, attentifs à ce qui se présente sur le lieu même du tournage. À la différence que, Cocteau n’étant pas un contemplatif, mais un homme d’action, il s’acharne à mettre en place des dispositifs d’ouverture. Les objets, inertes, muets, mystérieux, sont les véhicules du rêve. Dans un monde hostile qui lui résiste, où tout ce qui lui est proche est aussi irrémédiablement inaccessible, le poète entame avec eux un dialogue de sourds. La radio en est l’illustration la plus aboutie, mais cela fonctionne aussi pour les miroirs, les gants, les motos, les voitures, etc. Les objets assurent la transition d’un monde à l’autre, de l’ancien au moderne. N’avait-on pas d’emblée remarqué que les décors semblaient plus sensibles qu’Orphée ? Ils le sont, mais ils présentent également deux faces, interne et externe, et leur duplicité induit à prendre parti, à faire un choix… Ils ramènent Orphée à la vie – tout en l’éloignant définitivement de la poésie. La Zone se referme, le miroir se fige, la princesse se détourne. Sans lui désormais, au-delà de lui, la poésie reprend, le mythe renaît – sans Orphée. Cette dimension, entre simulacre et insaisissable, c’est la dimension du film, d’où se dégage son seul véritable poète – non pas Orphée, mais Cocteau.

Jean Cocteau, Orphée (1950)

A voir aussi : Le sang d’un poète, Le testament d’Orphée et Jean Cocteau cinéaste (coffret).

Précédemment sur ce blog : Il n’est Orphée que dans le chant

et Des ruptures (La voix humaine).

Photos : Heurtebise, Orphée, la Princesse (François Périer, Jean Marais, Maria Casares).

A la conjonction d’un miroir et d’une encyclopédie

J. L. Borges, « La bibliothèque infinie », entretiens avec Jean Daive pour France Culture, 1978.

« Pourquoi sommes-nous inquiets que la carte soit incluse dans la carte et les mille et une nuits dans le livre des Mille et une Nuits ? Que Don Quichotte soit lecteur du Quichotte et Hamlet spectateur d’Hamlet ? Je crois en avoir trouvé la cause : de telles inversions suggèrent que si les personnages d’une fiction peuvent être lecteurs ou spectateurs, nous, pouvons être des personnages fictifs. » Borges, « Magies partielles du Quichotte », Nouvelles Inquisitions.

Une voix de vieil homme, qu’un fort accent hispanique rend difficile à comprendre, force à se rapprocher un peu, à cesser toute autre activité pour, simplement, tendre l’oreille. Les minutes passent, puis les heures, une première écoute, une deuxième quelques jours plus tard, une troisième encore, des mots, des bouts de phrases griffonnés et surtout, la voix qui persiste, son accent peu à peu apprivoisé, ses intonations devenues familières.

Derrière la voix chaude et chantante, la voix proche, il y a l’écrivain mondialement célèbre, l’auteur aveugle à l’inquiétant regard dont l’œuvre semble la mise en abîme. Mort depuis presque vingt-cinq ans mais encore présent – paradoxe temporel qui lui plairait, à lui, traitant d’immortalité comme d’une évidence littéraire. Difficile, aujourd’hui, de lui donner tort : Borges est vivant. Dans l’étendue de son ombre portée, il est celui qu’il faut avoir lu et que, précisément pour cette raison, on tarde à découvrir. Lui-même gêné par l’ampleur de son aura s’amuse à en déjouer le piège, dissipe cette gloire dont il n’ignore pas le double tranchant, médite ses réponses comme si c’était la première fois, s’étonne, feint de se souvenir, prend un ton tour à tour grave, ironique ou rêveur, change de sujet pour en revenir insidieusement à la question, non s’en s’être adonné à l’une de ces relectures apocryphes qui font sa réputation. Mort, vivant, on ne sait plus. Il est si peu intimidant qu’on se verrait bien le contredire, comme s’il n’était pas l’auteur, lui remettre en mémoire les phrases-images qui nous ont marqués et qu’il prétend avoir oubliées. La statue refuse son socle, se promène tout autour et sabote les assises : anachronique par habitude, il revisite son passé (littéraire, il n’y a que ça) pour s’adresser des reproches, détourner ses propres théories, invalider ses contextes… En somme, il se plaît dans le rôle du conversador, ça lui permet d’un même geste d’atténuer et d’accroître son œuvre, de la compléter en la modifiant, d’ouvrir à l’infini le champ des interprétations. Cette fourbe modestie tient aussi son origine d’un état d’esprit moins avouable, qui relève du doute autant que de la superstition. Couvert d’honneurs, Borges craint encore d’être pris pour un imposteur. Homme d’équilibre et de raisonnement, l’angoisse lui commande un exutoire. Son réconfort se nomme Don Quichotte  et c’est son alter-ego littéraire, figure tragi-comique du néant faisant œuvre, de l’œuvre faisant néant.

Est-ce pour conjurer une hantise très personnelle de la littérature qu’il en développe une pratique à ce point invasive, à ce point ambiguë ? Si la littérature n’a ni début ni fin, il faut bien qu’elle le contienne, lui, Borges. Qu’elle le contienne et qu’il puisse l’occuper, s’y mouvoir, s’y perdre. La littérature n’est pas un texte, n’est pas la somme des textes écrits depuis le début des temps ; elle domine, elle englobe le texte, l’auteur et le monde tout autour : infinie et parfaitement circulaire, elle se confond au réel – et non à la pensée, si tant est que le réel n’est pas justement un épiphénomène de la pensée –, elle est le réel en sa totalité. Régis par la loi de l’éternel retour, œuvres et auteurs ne cessent périodiquement de s’engendrer et de s’annuler, et peut-être le monde s’effondre-t-il dans l’intervalle. A l’instar de Kafka qu’il admire et qu’il traduit, Borges objective, universalise l’imaginaire, n’a d’autre choix que de se faire l’architecte méthodique et pointilleux de ses conditions d’écriture.

A l’âge de quarante ans, Borges est déjà connu en Argentine comme poète et critique. Très immodestement, il déteste son statut de petit employé dans une bibliothèque municipale. Le matin, il expédie la rédaction d’une centaine de fiches avant de se consacrer à ses propres travaux. Dans cet environnement livresque hostile, par un jeu de reflets compréhensible et salutaire, il invente un style singulier, tissage subtil de citations tronquées, errata volontaires, collages, filiations inversées, bibliographies imaginaires, catalogues bizarres, bestiaires fabuleux. A la fois glose et palimpseste de textes inventés ou trahis, synthèse féconde entre l’imaginaire et le sensible, entre le vrai et le faux, entre le possible et l’impossible , son écriture s’insinue doublement dans l’espace littéraire, en surplomb et en son centre – ubiquité proche de l’utopie.

Tantôt théoriques tantôt narratifs, ses recueils les plus célèbres (Autres Inquisitions, Fictions et L’Aleph) semblent alterner deux pratiques littéraires distinctes : le commentaire de texte et la nouvelle fantastique. C’est une méthode, un stratagème ; à l’aide d’arguties si fastidieuses parfois qu’elles en deviennent hypnotiques, l’auteur  capture son lecteur et  le perd dans une séduisante logique de fiction. Il n’y a pas de récits, il n’y a que des situations, ou peut-être n’y a-t-il  pas de situations, mais des abstractions plus ou moins déguisées, des apories opportunes qui, développées à l’extrême limite de l’impossible, génèrent des récits qui ne sont, en réalité, qu’imitations de récits. Ces démonstrations renversent l’ordre naturel du conte (et du commentaire) visant à convaincre de la réalité de ce qui est raconté. Le postulat de Borges est le suivant : le réel est déjà une narration. Il coïncide avec la littérature, redondant, il doit en être évacué. A ce titre, Borges est un voleur et un collectionneur de récits, sans foi et sans scrupules. Il y a dans sa matière beaucoup de religions, de l’Histoire, du roman policier, de la parodie, de la métaphysique : autant de contenus formels qu’il peut à loisir conjuguer, intervertir, croiser, dévoyer.

Borges insiste : la littérature est, par essence, fantastique ; le réalisme est une hérésie récente. Il méprise tout ce qui prétend à une quelconque authenticité historique : la biographie n’explique pas l’auteur, la chronologie fausse la vérité, l’écrivain lui-même crée ses précurseurs (voir, « Kafka et ses précurseurs », dans Autres Inquisitions). Comme Bachelard, Borges met en avant la toute puissance de l’imagination, à laquelle songes, mythes, métaphores et symboles confèrent une forme universelle. Ce que Borges l’individualiste nomme « lieux communs » revêt là une improbable positivité, qualité évidemment conditionnelle. Écrire pose un acte métaphysique, un acte nécessaire. Interrogé sur son inspiration, il dit « Le sujet me cherche », parle d’envahissement, évoque l’insomnie, la fièvre, la maladie. Son œuvre regorge d’autoportraits masqués, puis elle multiplie les leitmotive, les symboles : le poignard, le jaguar ; les lieux récurrents : l’Orient, les labyrinthes, les ruines, les bibliothèques, les encyclopédies ; les obsessions formelles (l’ésotérisme, l’oxymore, le chiasme) et théoriques (le double, l’équivalence des contraires). Si le fait d’écrire relève de la nécessité intérieure, l’essentiel échappe au contrôle de l’écrivain, comme si  l’imagination agissait seule, s’emparant du sujet et le modelant selon un secret dessein. La vérité littéraire dépend directement de ce lâcher prise, de cette reprise. Ces propos éclairés /exaltés sont bien le fait d’un poète ; les prosateurs, je le sais, tiennent d’autres discours tout aussi argumentés, mais ils refusent le cercle. Il n’y a pas d’abîme plus irrémédiable que celui qui sépare les poètes des prosateurs, au-delà de cet abîme naissent les discours du silence. Borges le confirme : sa conception de la littérature ou, ce qui revient au même, sa conception du monde, en est l’enjeu. Qu’on ne se méprenne pas : quand le poète prend la parole, quand il répond à son interlocuteur, ce qu’il ne révèle pas est d’une autre nature que ce qu’il dit.

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De même que mon texte effleure à peine le foisonnement de son œuvre, je serais bien en peine de rapporter toute la richesse de ces entretiens. Qu’il s’agisse d’esthétique, de philosophie, de la vie en Argentine, de l’amitié et à travers elle, de tant d’écrivains admirés et cités sans cesse avec délectation, Borges, que l’on connaît pour ses vertiges, nous communique sa pratique hédoniste de la littérature. De laquelle nous parvient, immortelle, sa voix, chaude et chantante, sa voix le vieil homme proche.

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La qualité de ces entretiens enregistrés pour France Culture tient au fait que Jean Daive, l’interlocuteur éclairé qui fait les questions et parfois les réponses, est poète* lui-même. Aussi comprend-il parfaitement à qui il s’adresse et ne commet-il pas de ces fautes de goût et erreurs de jugement qui nous rendent les « émissions littéraires » d’aujourd’hui si insupportables, à l’exception, évidemment, de ce que l’on peut écouter sur France Culture, Du jour au lendemain, Hors-champs, A voix nue et, tôt le matin, les envoûtantes et (trop) brèves interventions de Marie Richeux dans Pas la peine de crier

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* Borges a aussi cette chance, comme E. A. Poe avec Baudelaire, d’avoir pour traducteur  un poète : Roger Caillois, auteur de Pierres (1966). Enfin les couples auteurs / traducteurs de ce genres sont nombreux. Et Borges lui-même a beaucoup traduit.

J. L. Borges, « La bibliothèque infinie »

Le titre est une citation de « Tlön, Uqbar, Orbis Tertius » dans Fictions.

Barthes : la poésie analogue au silence

« Voici un autre langage qui résiste autant qu’il peut au mythe : notre langage poétique. La poésie contemporaine est un système sémiologique régressif. Alors que le mythe vise à une ultra-signification, à l’amplification d’un système premier, la poésie au contraire tente de retrouver une infra-signification, un état présémiologique du langage ; bref, elle s’efforce de retransformer le signe en sens : son idéal – tendanciel – serait d’atteindre non au sens des mots, mais au sens des choses mêmes. C’est pourquoi elle trouble la langue, accroît autant qu’elle peut l’abstraction du concept et l’arbitraire du signe et distend à la limite du possible la liaison du signifiant et du signifié ; la structure « flottée » du concept est ici exploitée au maximum : c’est, contrairement à la prose, tout le potentiel du signifié que le signe poétique essaie de rendre présent, dans l’espoir d’atteindre enfin à une sorte de qualité transcendante de la chose, à son sens naturel (et non humain). D’où les ambitions essentialistes de la poésie, la conviction qu’elle seule saisit la chose même, dans la mesure précisément où elle se veut un antilangage. En somme, de tous les usagers de la parole, les poètes sont les moins formalistes, car eux seuls croient que le sens des mots n’est qu’une forme, dont les réalistes qu’ils sont ne sauraient se contenter. C’est pourquoi notre poésie moderne s’affirme toujours comme un meurtre du langage, une sorte d’analogue spatial, sensible, du silence. »

Roland Barthes, « Mythologies », pp. 206-207

Faust : glissement d’un mythe

A propos de  « The Rake’s Progress » d’Igor STRAVINSKY (1882-1971)

« Faust est absolument comparable à un miroir qui réfléchit les modifications auxquelles l’humanité a été soumise l’espace des derniers siècles. » Schnittke

S.A. Alimov, L'appartement maudit (1975)

Tel qu’il apparaît, avec sa machine à transformer les pierres en pain, Tom Rakewell représente un Faust sans envergure, stade appauvri du mythe, presque sa dégénérescence. Fuyant ses responsabilités et la perspective d’un travail honnête, le libertin de Stravinsky se laisse séduire et dévoyer en succombant au mirage de la jouissance immédiate et de l’argent facile. Certes, s’il est vrai qu’on a le diable qu’on mérite, celui de Tom Rakewell est assez pitoyable et l’issue du pacte – la folie – n’est pas moins grotesque que son enjeu. Ce Faust-là est moderne mais aussi un peu moribond. Antihéros plus ou moins charismatique, ce qu’il dénonce peut être classé sans suite. Aussi Tom Rakewell est-il autant l’incarnation contemporaine d’un mythe que dérivé d’une série de gravures de William Hogarth (peintre anglais du XVIIIème siècle). D’un point de vue strictement littéraire, la double origine de ce personnage l’alourdit considérablement. Dépouillé de toute dimension métaphysique, le mythe faustien tend à réintégrer une ligne moralisatrice qui en limite, au final, la portée. Certes, dans son travail de réécriture, le poète J. W. Auden, librettiste à cette occasion pour Stravinsky, a considérablement modernisé le tableau du libertinage, mais le canevas de l’opéra en garde dans sa structure une certaine pesanteur.

Irina Shipovskaïa, Ivan et le Maître

D’une qualité musicale assez discutable, (un style néo-classique aux antipodes du Sacre du Printemps), la valeur de The Rake’s Progress dépend principalement de l’ingéniosité de la mise en scène. L’action se déroule à Las Vegas dans les années 50, tout le reste en découle assez logiquement. Sexe, argent, débauche, détails crus et colorés, éblouissements de strass, Hollywood et téléviseurs : panoplie conforme aux fantasmes et aux jugements qui s’y reportent. Autant dire que la continuité du mythe est moins dans sa thématique que dans sa configuration. Schématiquement, le mythe faustien se développe selon deux axes : l’axe moral – The Rake’s Progress se situe de ce côté-là – et l’axe métaphysique, initié par Goethe à la fin du XVIIIème. Cette seconde orientation, plus féconde, se distingue de la première en ce qu’elle dégage la figure faustienne de la dichotomie bien/mal, pour questionner le rapport de l’homme à la connaissance. Dans la dynamique du romantisme allemand, le docteur devient le modèle de l’artiste entièrement voué à son idéal. Au commerce avec le diable correspond un désir de surpassement, destructeur, certes, mais admirable. C’est un héros aux aspirations titanesques brisé par les lois, un révolté dans le sillage de Prométhée. Cette lecture exaltée du mythe, Oswald Spengler la transpose à la culture occidentale. Dans la débâcle de la première guerre mondiale, le philosophe allemand écrit un livre fondamental, Le Déclin de l’Occident. Celui-ci exprime la rage du peuple vaincu, l’incite à se redresser fièrement, mais son originalité réside davantage dans sa pratique de l’historiosophie. Spengler produit  une lecture organique des civilisations, lesquelles, à l’instar des êtres vivants, connaissent une évolution apparentée aux cycles biologiques. Puissante et créatrice, la culture occidentale – faustienne – est dans une phase de déclin parce qu’elle a vendu son âme à la technique. Toute l’ambivalence de ce discours tient dans sa réception : l’« homme faustien », symbole de la force affirmative de la culture occidentale, est récupéré à bon compte par le nationalisme allemand, alors que simultanément, la fin de la civilisation et l’anticipation de sociétés  inhumaines dominées par la technique inspirent de sombres récits aux contre-utopistes (Huxley, Witkiewicz, Zamiatine, Orwell…).

Charlie Stone, Le chat conduit le tram

Ainsi le mythe faustien glisse-t-il peu à peu vers des problématiques très concrètes, liées aux avancées de la science, aux défis éthiques et métaphysiques qu’elle ne cesse de poser. Autant de questions et de découvertes qui investissent et pénètrent la conscience moderne. Ces inquiétudes, au cinéma, en musique, en littérature, se formulent sur plusieurs niveaux de complexité. Le plus évident : un savant dévoré par l’ambition réalise, sous l’inspiration du diable, une découverte capable de provoquer l’apocalypse. Ces narrations se font bien sûr l’écho de la peur primitive face à la nouveauté, qu’elles présentent de façon spectaculaire et cathartique. Montrer le pire pour accepter le raisonnable, et entretenir l’idée que l’humanité dans son ensemble peut toujours rattraper l’ubris de l’individu isolé. En profondeur, le questionnement métaphysique reste prégnant. Recentré sur la personne même du scientifique, il dissèque le désir de connaissance. A mesure que le savoir augmente, ses frontières reculent et l’homme se sent, en proportion, infime, dérisoire ou, au contraire, extrêmement puissant. Le désir de savoir croît avec les possibilités de réaliser, avec les nouvelles techniques. Si le périple de Tom Rakewell met certainement en cause un élément crucial de la société industrielle, le consumérisme, l’opéra n’a cependant pas l’ampleur des fresques qui envisagent, à partir d’un individu en état de crise, le devenir de l’humanité. A cet égard, les deux œuvres les plus passionnantes au XXème siècle sont Le Maître et Marguerite (1940), de l’écrivain russe Boulgakov, et le Docteur Faustus (1947) de l’Allemand Thomas Mann. Ces deux romans ont d’ailleurs été abondamment repris au cinéma, au théâtre et à l’opéra. Il s’agit véritablement de polyphonies romanesques, au travers desquelles le mythe faustien passe comme un nerf, fil conducteur donnant sa cohérence à un brassage thématique d’une étendue hallucinante. Politique, esthétique, religieux, historique, nationaliste – pas un seul aspect du monde de l’après-guerre n’est omis, fictionnalisé, décomposé, analysé, ironisé… Il est significatif que ces deux romans phares de la modernité (ou plutôt, de la transition, puisqu’il est question de la mort d’un ordre ancien) s’articulent autour du personnage de Faust. C’est dire à quel point, parmi tous les mythes fondamentaux, il est celui qui, aujourd’hui, nous parle davantage de ce que nous sommes et de ce que nous devenons.

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Note : les illustrations de ce billet sont toutes empruntées au site Master i Margarita, consacré au chef d’œuvre de Boulgakov. Je suppose qu’il aurait été plus logique d’insérer ici quelques reproductions du libertin de Hogarth, mais ces tableaux – comment dire – ne m’inspirent pas du tout, alors suivant la technique consacrée d’un ami cher dite « technique du cheval de Troie », je profite de The Rake’s Progress pour inciter à lire ou à relire l’inoubliable roman de Boulgakov.

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Igor Stravinsky, The Rake’s Progress, mis en scène par Robert Lepage, dirigé par Kazushi Ono (enregistrement : 2007)

Quelques références faustiennes (liste non exhaustive) :

1. Musique

    Lien 1 : Gustav MAHLER, Symphonie n°8

    Lien 2 : Hector BERLIOZ, La damnation de Faust

    Lien 3 : Charles GOUNOD, Faust

    Lien 4 : Ferruccio BUSONI, Doktor Faust

    Lien 5 : Henri POUSSEUR, Votre Faust

    Lien 6 : SCHNITTKE, Historia von D. Johann Fausten

    Lien 7: John ADAMS, Doctor Atomic

    Lien 8 : Pascal DUSAPIN, Faustus, the last night

    Lien 9 : Franz LISZT, Faust Symphonie

    Lien 10 : Robert SCHUMANN, Szenen aus Goethes Faust

    2. Cinéma

      Lien 1: MURNAU, Faust, une légende allemande

      Lien 2 : René CLAIR, La beauté du diable

      Lien 3 : Taylor HACKFORD, Devil’s advocate

      Lien 4 : A. PETROVIC, Le maître et Marguerite

      Terry GILLIAM, L’imaginarium du docteur Parnassus

      3. Littérature

        Lien 1 : J. W. GOETHE, Faust

        Vladimir BOULGAKOV, Le Maître et Marguerite

        Thomas MANN, Docteur Faustus