– Un usage de la langue où la fiction est synonyme de mensonge –

Mariana Ruiz Johnson 3

« Et surtout je n’irai pas au zoo de Vincennes pour ne pas accréditer les thèses défendues par ceux, commerciaux, agents de communication, institutionnels, architectes et autres intervenants, qui veulent me faire croire que, « plutôt que d’opposer architecture pour les hommes et architecture pour les animaux », le projet de rénovation du zoo essaie « d’inventer un langage commun ».

C’est là que la bête en moi se rebiffe. Je refuse de me soumettre à une langue dont la fonction essentielle est de dissimuler l’envers du décor. Un zoo, quelle que soit la manière de présenter ses missions, est un théâtre, un espace de visibilité offert à des humains pour observer des comédiens-acteurs non consentants sur une scène appelée plateau, rocher ou cage. Le zoo exige, de ce fait, des angles de vue, des perspectives, toute une scénographie où la bête vaut comme œuvre d’art appartenant à une collection d’êtres vivants. Et à partir du moment où les phrases se mettent à nier ce fait brutal, évident et insistant, c’est tout l’édifice de la propagande organisée par et dans la langue qui me saute aux yeux. Car le discours métaphorique tenu par ces admirateurs zélés ou gênés du zoo de Vincennes a une conséquence terrible dont la littérature est la première victime : nous proposer un usage de la langue où la fiction est systématiquement synonyme de mensonge, ruinant du même coup le lent travail par lequel les écrivains essaient de remotiver le langage, de réactiver ses pouvoirs de suggestion et d’approche, sa puissance d’investigation, la force grâce à quoi il investit, accomplit et déroute le réel. »

Olivia Rosenthal, Je n’irai pas au zoo de Vincennes, Le Magazine littéraire, juin 2014

Le texte intégral se trouve ici.

Illustration : Mariana Ruiz Johnson