La possibilité d’un choix est-elle la garantie de la liberté ou ne sert-elle qu’à dissimuler son absence ? Ce n’est pas une moindre qualité, pour un film de genre, de brouiller les sources de l’angoisse qu’il distille. D’en effacer les traces quitte à détourner l’attention, susciter des indices qui ne mènent nulle part, se jouer de la logique. En admettant que le procédé ne soit pas involontaire, cette manœuvre est d’une efficacité redoutable en terme de manipulation : elle consiste à créer l’illusion de la multiplicité là où il n’y a pas d’alternative. Plus précisément, il s’agit de faire croire à la possibilité d’un choix alors même que l’unique voie est déjà tracée. En l’occurrence, en tant que démonstration morale, The Box est un film tout à fait déterministe.
Le point de départ est un dispositif assez simple : une boîte. Face à cet objet banal : un couple américain standard, classe moyenne, un enfant. La boîte en question, apprennent-ils, peut leur valoir un million de dollars. Il suffit d’appuyer sur le bouton (en quoi elle consiste), lequel signifie la mort d’une tierce personne (inconnue, éloignée). Aussi simple. Ils ont 24 heures pour se décider, ensuite l’appareil est réinitialisé et présenté à quelqu’un d’autre. La boîte ne s’impose pas sans la découverte de quelques contrariétés dans la vie du couple: Norma, suite à un accident médical, a perdu les orteils d’un de ses pieds; elle boîte. Son mari, Arthur, ingénieur à la NASA, est déclaré psychologiquement inapte à devenir cosmonaute. Bien sûr, l’argent fait défaut, malgré le confort manifeste (la maison « idéale », la télévision dans chaque pièce, la voiture coûteuse). Dilemme : appuyer ou ne pas appuyer sur le bouton ? Accepter l’argent et, indirectement, assumer la responsabilité d’un décès, ou rendre la boîte à son propriétaire (Janus à double visage), ne pas y toucher, renoncer à un million de dollars ? Tel est le choix que pose/impose le film.
Sur cette base stratégique, inspirée par une nouvelle de Matheson, Richard Kelly se dédouble, lui aussi. Dans les grandes lignes, il développe une intrigue à mi-chemin entre La quatrième dimension et X-files, avec tout ce qu’il faut de rationnel et d’ésotérique, de science-fiction et de théorie du complot, de fantasme apocalyptique et de mauvaise conscience humaniste, de métaphore politique et de symbolisme new age. Ce serait assez divertissant sans cet étau moral(isateur) décidément trop lourd. L’imaginaire fantastique se nourrit d’ombres et de brumes, d’ellipses et d’ambiguïtés – registre sensible que la mécanique sophistiquée de Richard Kelly congestionne par excès de bonne volonté. Les événements s’enchaînent de façon démonstrative et, comme si cela ne suffisait pas, le texte surenchérit dans la redondance, avec en fil rouge la figure tutélaire de Sartre (façon Huis-Clos pour les Nuls).
Par chance, Richard Kelly se fausse compagnie. En marge de son discours christiano-sartrien, il reste encore le réalisateur trouble de Donnie Darko. Cela se traduit par des détails qui, pour la plupart, ne servent à rien, ne mènent nulle part. Bref, des détails complètement excentriques. L’étrangeté du quotidien (dont Lynch est le plus grand maître) se manifeste dans l’imperceptible : l’angle d’un escalier, un alignement de verres à vin, l’opacité des fenêtres, la façade d’une maison, la neige, le père Noël, etc. Le traitement du corps contribue également à cette dégénérescence interne du scénario. Le pied mutilé de Norma et le visage brûlé de celui qui offre la boîte (dont la chair détruite révèle l’ossature et la mâchoire), laissent entrevoir, dans la façon dont la monstruosité s’expose et fascine, une jouissance presque sexuelle, qui contraste, par exemple, avec l’apparente chasteté du couple marié… Aussi, le fait que l’action se déroule dans les années 70 débride l’image, sert de prétexte à une surcharge hallucinante au niveau des décors. Papiers peints aux motifs géométriques étouffants, dominance de couleurs terreuses, rétro-futurisme en carton-pâte : c’est le côté jubilatoire de ce film, avec sa musique omniprésente, bavarde et obsolète, sa facture parfois maladroite et ses petites obsessions inavouables. A cet endroit-là, le film échappe à l’auto-censure, refoule vers des zones totalement dysfonctionnelles, malpropres, interdites… Lorsque Cameron Diaz marche vers la caméra avec un regard de velours, boucles dorées, petite robe noire, halo de lumière – radieuse parce qu’elle vient de revêtir la prothèse d’orteils que lui a fabriqué son gentil mari, c’est à la fois hilarant, ironique et cruel, et décidément ce mélange de malveillance perverse et de candeur nous intéresse incomparablement plus que les grands discours sur l’état moral du monde.
Richard Kelly, « The Box », avec Cameron Diaz, Karl Marsden (USA 2009, durée 1h55)
A voir, « Donnie Darko » (2001), de Richard Kelly, avec Jake Gyllenhaal
Je suis restée bouche-bée devant ce film et la première chose que j’ai faite en rentrant chez moi est d’aller consulter l’avis des internautes. Derrière la science fiction, il y a une vraie réflexion sur l’humain : les choix du couple, l’importance de l’enfant, l’importance de l’argent pour être heureux… Ce film est à voir et même à avoir dans sa dvthèque. Je ne serais pas étonnée s’il devient une référence.
Merci pour votre commentaire. Effectivement, les enjeux de ce film sont nombreux. Personnellement, je préfère tout ce qui se trouve en deçà de ces « grandes questions », les éléments bizarres qui ne trouvent ni explication ni résolution à la fin du film..