Bruno Podalydes, « Bancs publics (Versailles rive droite) », France, 2009 (durée : 110’)
On hésite : ce film est-il une représentation du réel, avec les quelques dissonances et artifices sans gravité qu’entraîne inévitablement toute tentative de ce genre, ou à l’opposé, s’agit-il d’une pure invention ? Cette distinction est loin d’être spécieuse : on ne juge pas une œuvre avec les mêmes critères selon qu’elle prétend à l’un ou à l’autre. Sans qu’il soit question d’indulgence ou de penchant personnel, je mentionnerais, pour résumer, que les mécanismes et subterfuges propres à chaque procédé diffèrent essentiellement en ce qu’ils servent des fins inconciliables, l’un allant dans le sens du réel, l’autre dans le sens contraire.
Vif et astucieux, Bancs publics est beaucoup plus intéressant que la vraie vie, très différent d’elle malgré une certaine ressemblance : fugacité des instants, hasard folâtre qui, malin génie, emboîte les scènes, en dispose comme d’un jeu de coïncidences et d’attentes informulées, provoque les rencontres, accorde les pointillés, les doutes, la confusion. Mais tout cela n’est peut-être qu’un prétexte, c’est-à-dire également un alibi : ni enquête ni mise en question, prétexte simplement à un jeu, un jeu dans le jeu, comme on dit un jeu de clefs – mais justement, il n’y a pas de clefs. Une invention du réel donc, seule capable de porter au maximum et sans contradiction, l’insignifiance et la nécessité. A l’intérieur du film, dans son univers sensible – un grand nombre de portes ouvertes en facilitent l’accès – l’indétermination circule et les possibilités prolifèrent, principe d’une autarcie saine, non totalisante.
Il se peut que le réel, avec ses revers et ses éblouissements, soit l’œuvre du hasard ou d’un malin génie ; Bancs publics, avec sa désarmante galerie de personnages, son inépuisable réserve d’anecdotes, d’infimes variations sur le mal-être et la solitude urbaine, mais aussi de désirs prêts à éclater comme si, suspendus aux regards et aux lèvres, ils attendaient d’arriver à maturité pour s’offrir plus généreusement, ne peut être que l’œuvre d’un démiurge bienveillant. Le film s’ouvre sur la découverte ébahie, hilarante, de l’existence de l’Homme Seul. Ce dernier, las de sa condition, a eu l’idée saugrenue de suspendre à sa fenêtre une banderole faisant état de sa situation. En face, trois femmes, toutes trois employées dans un même bureau, s’en émeuvent et en font leur cause, leur quête.
Autant oublier les noms trop prestigieux des acteurs pour ne prendre en considération que les personnages ; savourer les bons mots, les rimes, les métaphores, la densité des expressions, la sérénité d’un climat sans pluie, le confort d’une cruauté qui cesse de faire mal… Autant rêver qu’on se réveille tout en continuant à dormir. Découpé en trois parties, matinée au bureau, midi au parc et après-midi au magasin de bricolage, l’espace s’organise en autant de théâtres légèrement burlesques. Sur ces planches un peu bricolées, parfois bancales, les plans-séquences glissent d’un personnage (ou d’un groupe) à l’autre ; certaines histoires se lient, d’autres pas : rien ne doit être systématique, il faut entretenir l’illusion du spontané, telle est la ruse de l’invention. Les décors sont très proches, presque superposés, ils s’imbriquent, on ne s’étonne pas si une explosion se produit, l’événement en tant que tel sera sans gravité : seule l’anticipation fait peur (crainte, par exemple, que l’Homme Seul ne se suicide…). Logique de l’irréel, renforcée par une circularité qui semble annoncer l’éternel recommencement de la même journée. Celle-ci est d’ailleurs illustrée par le plan final, qui s’élève au-dessus du parc, mettant en évidence le dessin concentrique du bassin entouré de ses allées. Les personnages sont façonnés par leurs habitudes, leurs manies, leurs rituels autour desquels la vie s’articule si bien qu’ils ne peuvent guère changer… Cette géométrie ne se veut pas désespérante, au contraire. Comme toute invention, Bancs publics est peut-être aussi une utopie ; son fonctionnement, quelque inconséquent qu’il puisse paraître, témoigne de la possibilité d’une société jumelle, divertissante, un peu exagérée, naïve parfois, mais d’une profonde cohérence. Unifiée, fluide, communautaire. La quête de l’Homme Seul menant à la résolution de l’énigme et de là, à une heureuse intégration, son existence cesse aussitôt d’être un événement pour devenir un cas de figure, mieux : un stimulant. L’histoire doit se répéter. Et, dans un équilibre très optimiste, l’état de manque des uns devient détermination à agir pour les autres. Une utopie ?
Bruno Podalydes, « Bancs publics (Versailles rive droite) »
Enthousiasmée par ce Versailles rive droite, je me suis attaquée aux six heures de Versailles -Chantiers – fort différent, mais un régal également.