Vivre, c’est confondre, penser, c’est distinguer. Vivre en pensant, c’est distinguer mais en tâchant de rendre égal. L’égalité est l’idéal même de la frontière, qui permet de séparer sans hiérarchiser.
La séparation est la condition du vivant pensant qui trace des frontières à la fois pour abstraire des variations de son environnement des différences suffisantes, et pour réintroduire ces différences abstraites dans son environnement concret, dans l’espoir de rendre les choses distinctes mais égales.
Et comme nous vivons parmi elles, nos frontières se confondent de nouveau, elles redeviennent des intensités, des variétés continues.
Cela ne dure qu’un temps.
C’est ainsi : pour tout ce qui vit, les dégradés finissent par faire frontière, et toutes les frontières se dégradent.
Tristan Garcia, Logique de la frontière, Kaléidoscope II
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au-delà de sa valeur sociale ce texte pourrait nourrir la réflexion sur nos habitudes de classements selon des catégories stylistiques et culturelles à la médiathèque, créer des frontières et dissoudre les frontières
L’intérêt de cette réflexion me semble être qu’en effet, elle concerne de nombreux plans, humains, matériels ou immatériels, politiques ou affectifs.
Un fragment d’un panneau de Rothko ( dernières œuvres presque monochromes exposées à la chapelle de Houston.) ? Couches ténébreuses de rouge-pourpre sombre, lumières tamisées et ombres profondes, presque sépulcrales de celles entièrement noires, traversées parfois d’accents linéaires. Frontières poreuses. Silencieuses, énigmatiques, rayonnantes comme une lampe dans la brume. Sentiment d’enveloppement au centre de cet édifice octogonal – car les toiles couvrant les murs sont immenses -, les contemplant mais aussi labyrinthe de perception car l’espace bi-dimensionnel des panneaux est doté d’une profondeur voilée, infinie surtout avec la faible lumière électrique changeante. Médiation…
On cherche derrière la noirceur de la toile un ailleurs de la peinture. Un temps sans temps… un temps sans frontière…
J’avoue Christiane, que le choix d’un Rothko m’avait paru un peu trop facile, un peu trop évident eu égard au sujet, et que je ne m’y étais ralliée que faute de temps. Mais en lisant votre commentaire je n’ai plus aucun regret. Merci à vous.