« Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait », un film d’Emmanuel Mouret

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« Plutôt que d’amour, parlons de sentiments. » En portant ce point de vue à la connaissance de Daphné, la compagne de son cousin venue l’accueillir en l’absence de ce dernier, Maxime ne songe qu’à sa propre vie affective et à celle de ses amis. Il est loin, alors, de se douter que cet aveu parviendra à l’oreille de la jeune femme sous la forme d’une tendre prédiction. L’amante qui se pensait fidèle ira donc elle aussi rejoindre la cohorte des polyamoureux qui s’ignorent. De cette prévalence du pluriel dans les affaires de cœur, Emmanuel Mouret nous dresse un Banquet de son cru dans un savoureux chassé-croisé où – belle ironie – le désir a rarement le dernier mot.

L’amour s’arrête au bord des lèvres. Passé le seuil du premier baiser, le désir manque soudain d’imagination.

À peine se sont-ils rencontrés que Daphné et Maxime n’ont eu qu’un seul désir, celui de se raconter leurs déboires amoureux. Enceinte de trois mois, la jeune femme se morfond à la campagne. En l’absence du père de son futur enfant, elle ne se fait pas prier pour servir de guide au cousin de ce dernier, aiguillonnée qu’elle est par la double réputation qui précède le jeune homme, d’aspirant écrivain et d’amoureux éconduit .

Du temps devant soi mais pas trop, des jolies personnes dans des jolis décors, un doux soleil de printemps : il n’est pas de situation plus propice aux confidences ni de terrain plus favorable à l’aventure. Car s’il se trame bien des choses dans une conversation que les interlocuteurs eux-mêmes ignorent, ou feignent d’ignorer (par politesse, par intérêt ou par esprit de réserve), il s’agit d’un principe fécond dont Emmanuel Mouret se fait un plaisir d’user comme d’un ferment pour une trame d’actions presque purement verbales. Ce regard plein de malice dédié au langage dans son rapport à la chose amoureuse, on dit à juste titre qu’il doit beaucoup à Rohmer. Reconduit à une certaine forme de théâtralité consciente, le cinéma peut s’exprimer avec sérieux sous une verve ludique qui relativise la gravité éventuelle de ses sujets. Une telle tactique produit des films dont le charme semble émaner tant du jeu des acteurs que d’un montage de scènes vif et rythmé.

Long de quatre jours, le tête-à-tête bucolique, au terme duquel Daphné et Maxime n’auront plus de secrets l’un pour l’autre, advient dans le plus strict respect de la tradition du récit à tiroirs. Par l’entremise de ce couple qui n’en est pas un, une aimable causerie se mue en bal d’intrigues. Celui-ci embrasse une bonne dizaine de personnages.

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Niels Schneider, Jenna Thiam et Guillaume Gouix

Les ritournelles de l’amour

Ils ont beau faire, tous autant qu’ils sont, les Louise, Sandra, Victoire, François, Gaspard, Stéphane et les autres, la carte du tendre ne cesse de leur tomber des mains. Mains qu’ils ont, de toute évidence, plus émues que baladeuses. En guise de consolation, et comme pour nous assurer que personne n’est dupe de la banalité de ce que vivent ces personnages, un piano espiègle s’emploie à rejouer dans leur dos les airs les plus connus du répertoire romantique, Chopin, Tchaïkovski, Schubert, Puccini, mais aussi Debussy et Satie. Est-il seulement possible d’innover lorsqu’on obéit aux lois de l’attraction ?

Innover, de toute façon Emmanuel Mouret ne prétend pas le faire, lui qui rechigne à se montrer le contemporain de son époque. En cela, malgré des préoccupations communes, il prend résolument ses distances vis-à-vis d’un cinéma sensible aux tendances actuelles et à ce qui, dans notre quotidien, constitue des micro-révolutions ou des remises en cause des normes du passé. Pour prendre un exemple récent, le film Chambre 212 de Christophe Honoré se révèle assez proche des Choses qu’on dit sur un plan thématique, confrontant la notion de fidélité à la multiplicité des liens qui se tissent au cours d’une existence. Pour en délibérer, le cinéaste convoque une galerie de caractères à la fois tragiques et drôles, dotés d’une force dionysiaque où s’exprime un optimisme cru, un entêtement joyeux jusque dans la honte et la souffrance. Sans sacrifier à la complexité des relations humaines, Emmanuel Mouret ne parvient toutefois pas à arracher ses personnages d’un schéma hétérosexuel centré sur le couple, défini de préférence par les liens du mariage ou de la cohabitation.

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Niels Schneider et Camélia Jordana

Passé ce constat, Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait peut bien être porteur d’un fatalisme moral un peu triste, sur un mode plus intellectuel, le film n’en est pas moins exempt de joie et d’invention. Ainsi, le divorce entre les actes et le discours, sur lequel insiste le titre, loin de diviser le plaisir, le double en séparant ses sources. Cette jouissance par la parole compte bien quelques adeptes dans le cinéma actuel, Desplechin et Honoré en tête, nous venons de le voir. Mais les maîtres de Mouret appartiennent résolument au passé : Diderot (convoqué dans Mademoiselle de Joncquières), et Rohmer encore, dont le dispositif conversationnel se voit ici démultiplié en une polyphonie plus joueuse que philosophique. Si peu moderne qu’il paraisse (ou intemporel, c’est comme on veut), détaché des questions matérielles, le cinéma de Mouret ne se fait pas pour autant l’écho d’un jugement social tel qu’il s’illustre avec une cruauté sournoise dans les Liaisons dangereuses. D’une éventuelle affinité avec un Choderlos de Laclos ne subsiste dès lors que l’attrait pour une langue toute puissante, un verbe capable de faire et de se faire jouir, quand bien même il rencontrerait là sa limite – et sa triste fin. L’amour dirait-on, chez les uns comme les autres, s’arrête au bord des lèvres. Passé le seuil du baiser, le désir manque soudain d’imagination. Personne n’ira jusqu’à se l’avouer, mais c’est là chez Mouret le début de l’ennui, quand la relation bascule dans le charnel. Le désir de l’autre se tend de fils narratifs disséminés dans un être qui n’en a pas toujours conscience, et lorsque ceux-ci deviennent inactifs, qu’ils radotent ou déçoivent, le désir se trouve un nouvel objet. Vieille histoire.

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La sobriété des décors, intérieurs comme extérieurs, déterminés par des tons crème sur lesquels la couleur ne se pose jamais au hasard (une ceinture d’un rouge indiscret pour Louise / Émilie Dequenne) et le jeu en demi-teinte des acteurs (magnifique Camélia Jordana, dans un contre-emploi qui lui va bien) soulignent cette recherche d’un classicisme où tout peut se dire avec mesure et délicatesse. Sans doute le drame n’a-t-il pas lieu d’être lorsqu’on pense que rien jamais ne changera. Le réalisateur préfère s’attarder sur les raisons et les contradictions de chacun, épousant tour à tour les revirements de ses protagonistes comme si à chaque fois c’était pour de bon. Certes, l’Amour ne résiste pas aux «choses » (qu’on dit, qu’on fait), mais pourquoi faudrait-il leur en sacrifier la délicieuse illusion ? Dans ce film, la voie du libertinage demeure invisible, et s’il elle devait apparaître, elle ferait probablement horreur à ceux qui, pour l’emprunter, ne devraient toutefois pas trop modifier leur manière d’être. Ce cynisme-là n’est pas du ressort des protagonistes de Mouret. C’est donc au prix d’une grande peine, qui est de se décevoir sans cesse, qu’ils restent fidèles à leurs chemins de désir. « En amour, nous dit-on, il n’y a pas de règle ». Et cette sagesse est bien la seule que délivre un film pourtant moins enclin à l’insouciance qu’à la mélancolie.


Une rencontre continuée (de l’intime)

Egon_ Schiele_ L_etreinte_detailEgon Schiele, L’étreinte, 1917 (détail)

 

 « Et d’abord ne faut-il pas entendre ce verbe « aimer » dans son emploi courant ? Car voyez comment le terme : « je t’aime » fait grammaticalement de « toi » un complément d’objet, dans la langue. C’est-à-dire qu’il fait de « toi » un « objet », ce n’est pas neutre.

Or c’est très différent de dire : « nous sommes intimes », puisque j’y pose « l’Autre » en sujet comme moi. Je pourrais opposer l’intime à l’amour en commençant par dire ceci : l’intime est ce qui, dans l’amour, ne fait pas mal…

L’intime désigne à la fois le plus profond de l’intériorité du sujet et la profondeur de la relation à l’Autre.

Dans ce « nous sommes intimes », on voit émerger un « nous » exprimant une communauté ne séparant plus le « Je » du « Toi ». Fini ce grand thème banal du « je t’aime mais tu ne m’aimes pas » sur lequel sont bâties tant d’intrigues romanesques. En revanche, l’intime est partagé entre nous au point qu’on ne sait même plus auquel des deux cela est dû. Telle est la profondeur du partage…

Mais pensons comment l’idée de « rapport à l’autre » nous conduit au bord de la contradiction : dès lors que l’autre entre en rapport, ce n’est plus « l’Autre » en tant qu’autre ; il est rapporté à moi. Or cette contradiction est féconde, proprement existentielle, en conduisant à penser l’écart entre « la relation » et la « rencontre ». Quand la rencontre commence à s’installer, cela devient une relation : l’Autre n’est plus autre ; il s’est laissé assimiler par moi, il entre dans ma perspective. La rencontre s’est enfouie – enfuie – dans la relation. Les bons romans ont su l’analyser : quand la rencontre s’installe en relation, l’altérité est perdue.

Il faudrait au contraire penser la relation comme une rencontre continuée. Comment continuer à rencontrer l’Autre avec ce que la rencontre implique de « contre », c’est-à-dire de non encore assimilé ? Le propre de la rencontre c’est qu’on y est débordé par l’Autre.

Mais alors comment penser l’intime, l’Autre au « plus dedans » de soi ? Qu’est-ce que c’est qu’être en l’autre ? Nous sommes intime avec quelqu’un à cette condition : lorsque nous l’extrayons des rapports de force qui font le monde et que nous ne projetons plus de plans sur lui, c’est-à-dire que nous commençons à nous tenir hors de nous dans l’autre.

L’intime défait tous les dualismes, d’où vient sa profondeur, et d’abord celui du sensuel et du « spirituel ». Car l’intime évoque le plus profond du sexuel : la « pénétration » intime. Comme il ouvre aussi bien une dimension d’infini dans l’expérience.

En somme, l’amour est équivoque et l’intime est ambigu. L’équivoque, c’est quand je ne fais pas, dans les mots que j’emploie, la distinction que je dois faire. L’ambigu, c’est quand je fais, au contraire, contraint par les mots, une distinction que la réalité, quant à elle, ne fait pas. L’intime est ambigu parce qu’il défait l’opposition du sexuel et du spirituel, des sens et de l’esprit. »

 

François Jullien, Pourquoi il ne faut plus dire « je t’aime ». Dialogue avec Nicolas Truong, Le Monde / Editons de l’Aube, 2019

Extrait-collage, pp.33-45, citation incomplète.

Se regarder dans l’océan (« Atlantique » de Mati Diop)

Raconter la migration au-travers de celles qui restent, tel est le parti-pris du premier long-métrage de la cinéaste franco-sénégalaise Mati Diop. S’ensuit une œuvre étrange, transgenre, dont la force d’énigme ouvre au politique de nouvelles voies d’expression et d’interrogation.

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Tu ne fais que regarder l’océan, tu ne me regardes même pas. — Ada

Dans les bras de Souleiman, plus proche de lui que jamais, Ada proteste. « Tu ne fais que regarder l’océan, tu ne me regardes même pas. » Et de dénouer l’étreinte qui dans la sueur fond les peaux et les souffles, prétextant un bruit, non, pas maintenant, ce soir. Et là voilà déjà partie, sourde aux supplications de l’aimé, un baiser, un dernier baiser, tu es si belle. Ces mots, les yeux fixés sur le lointain des flots.

Le soir même, la jeune fille attend. Dans ce bar, rendez-vous obligé de la jeunesse du quartier, d’autres, comme elle, attendent, s’impatientent. La nuit avance, les hommes tardent. Des voix s’élèvent, forment une rumeur qui bientôt confirme l’effroi : les retardataires ne viendront pas, ils ont pris le large sur des embarcations de fortune, cap sur le Détroit de Gibraltar.

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Ada & Souleiman (Mama Bineta Sané & Ibrahima Traoré)

Secret gardé jusqu’à la dernière seconde, la disparition afflige mais le départ est motivé. Ces hommes sont ouvriers en construction, employés sur le chantier d’une tour. Depuis des mois, des années même, on ne les paie pas. De toute évidence les intérêts de l’entrepreneur, ou ceux devant lesquels il s’incline, ne rencontrent pas ceux de sa main d’œuvre. Au énième refus, énième déni de leur personne, les ouvriers jettent le gant. Ironie du sort, la Tour vole son nom à l’océan. L’Atlantique est un monument de prestige qui, à défaut d’ennoblir la ville, rencontre assurément les ambitions mercantiles de commanditaires sans scrupules. Et tandis que ces ouvriers qu’on juge acceptable de ne pas rémunérer ne voient plus comme issue au blocage de leur vie qu’une traversée de la dernière chance, monte du rivage une brume épaisse qui enlace cette hauteur édifiée à la sueur de leurs fronts de voiles funèbres. On dirait le mât d’un navire échoué suspendu au-dessus des vagues, présage ou provocation à l’égard de celles qui restent, les femmes, compagnes d’infortune d’Ada, mères, sœurs, épouses, promises ou amoureuses – veuves désormais.

Aurait-il fallu les empêcher de partir ; aurait-il été possible pour ces hommes de rester au pays, à Dakar, dans une situation d’injustice sans recours ? Qui, de Souleiman ou d’Ada, a échoué à retenir l’autre ? S’ils avaient fait l’amour cette après-midi-là dans l’intensité de leur désespoir, le jeune homme aurait-il encore eu le courage de s’en remettre aux scintillements de l’océan ? Mais alors, dans leur désir d’union, il leur aurait fallu passer outre cet autre obstacle, non moins grave que la pauvreté de Souleiman : la promesse de mariage faite au nom d’Ada à un riche Sénégalais résidant en Italie.

Atlantique de Mati Diop - Souleiman
Souleiman (Ibahima Traoré)

L’impossible deuil de l’amour exprime, pour celles qui restent, le cauchemar de la séparation. En toute chose la figure paroxystique des amants est révélatrice d’une réalité plus vaste. Le schème de l’amour choisi par Mati Diop dans lequel peut se reconnaître une forme particulièrement morbide de cristallisation, est audacieusement pertinent pour évoquer le drame des migrations. Ce que bouleverse une absence – a fortiori lorsque disparaît toute une frange de la jeunesse masculine d’un pays –, appelle un exposé qui ne soit pas de l’ordre du seul inventaire des faits. Être en mesure d’entrelacer le visible et l’invisible, le concret et l’irrationnel, la vie et la mort, c’est prendre le risque de la subjectivité.

Une telle démarche, venant de Mati Diop, n’a rien d’opportuniste. De son point de vue d’artiste, revivifier la question postcoloniale est une urgence, en particulier dans un contexte de saturation médiatique autour des faits de migration, étiquetés, non sans violence, « crise migratoire ». De père sénégalais (le musicien Wasis Diop) et de mère française (photographe puis directrice artistique dans une agence de publicité), la cinéaste revendique sa place à l’intersection des cultures et des continents. Dans le travail de réflexion mené sur son propre héritage, elle cite volontiers l’écrivain américain James Baldwin (auquel elle songea un temps à emprunter un titre pour Atlantique, La Prochaine fois le feu (The Fire next time, 1963), les auteurs sénégalais Fatou Diome et Felwinne Sarr, tandis qu’aux sources du film elle exhume un article paru en 2012 dans un quotidien dakarois, Les veuves de la mer. L’Odyssée d’Homère (« ce serait, cette fois dit-elle, l’odyssée de Pénélope »), et une odyssée contemporaine, signée Violaine Huisman, Rose Désert (2019), ainsi que différents mythes issus des traditions européennes et africaines, nordiques et arabes se sont également invités dans le processus d’écriture. Au jeu des références, on peut prendre le relai et suggérer l’œuvre romanesque de Marie NDiaye qui, issue d’un même agencement familial franco-sénégalais, enregistre de semblables climats, vaporeux, étranges, des manières d’être dont la cruauté prend les dehors d’une douceur absolue. Quant aux épopées sensibles de la Camerounaise Leonora Miano, elles portent un écho certain aux veuves de l’Atlantique (cf La Saison de l’ombre). Enfin, sur le plan des affinités cinématographiques, nous revient le cinéma très singulier d’un Jacques Tourneur, Vaudou (I Walked with a Zombie 1943), « film où l’angoisse se montre tendre, et la tendresse fait peur. (…), et où l’étrange apparaît comme une lucidité spéciale, reconnaissance de l’invisible, de l’inconnaissable qui affleure – à la déchirure. (…) De ses mains, le zombie reçoit une forme émouvante. Pâle jeune femme vêtue de blanc, la créature possède la beauté des amours perdues. L’effleurer du regard, c’est de l’horreur avoir la vision déchirante de tout ce qui lui a été pris. »

I walked with a zombie de Jacques Tourneur 4
I Walked with a zombie, Jacques Tourneur

Déconcertants, les mélanges dont procède Atlantique ne manquent donc pas d’antécédents. Claire Mathon, chef opératrice, fut aussi directrice de la photographie pour le Portrait de la jeune fille en feu (2019), film qui ne craint pas non plus d’associer un discours critique et engagé à une histoire d’amour, ni de déroger à certaines règles du documentaire en invitant ce langage à s’exprimer dans la fiction. Il est, à plus d’un titre, intéressant de rapprocher ces longs métrages sortis la même année, tous deux réalisés par des femmes s’étant initiées aux techniques du cinéma en France (la Fémis pour Céline Sciamma ; le Fresnoy pour Mati Diop). Pour des raisons voisines, les personnages féminins y occupent le devant de la scène. Par leur caractère comme par leur conduite, ces figures déconstruisent positivement les stéréotypes de genre liés à leur condition et, toujours positivement, échappent à l’inversion de ces mêmes stéréotypes, la fragile muée en guerrière, la belle muée en prédatrice, la dévouée muée en meneuse, autant de clichés soi-disant progressistes dont se satisfont nombre de cinéastes actuels. Mais l’émancipation n’est pas un programme, encore moins un programme univoque. Aussi Mati Diop et Céline Sciamma se font-elles toutes deux un devoir de mettre la discussion au centre de l’action. Mati Diop pour sa part, annonce avoir eu recours à cette technique dans l’écriture du script, réunissant autour d’elles des jeunes Dakaroises pour qu’elles s’expriment sur leur rapport au travail, à l’argent, aux femmes, aux hommes, à l’amour, à la sexualité. C’est dans le vif de ces conversations que se sont découpés les nombreux dialogues qui se nouent avec et autour d’Ada : faut-il qu’elle accepte le mariage ? que peut-elle espérer ? son comportement est-il représentatif ou courageux ? est-elle en mesure de savoir ce qu’elle veut, qui elle est ?

Atlantique de Mati Diop - Ada
Ada (Mama Bineta Sané)

Énigme, documentaire, tragédie, fable, rêverie : le film compose avec les genres par nécessité, presque par inclination naturelle. Genres qui, au demeurant, ne se révèlent jamais aussi expressifs que lorsque poussés dans leurs derniers retranchements, ils se laissent envahir par d’autres langages. Ainsi de Dostoïevski à Bolaño, l’enquête policière, pour ne prendre qu’un exemple évident, offre-t-elle sa forme évolutive à un questionnement existentiel et politique. Dans Atlantique cette dynamique critique s’accroche entre autres à la figure du détective Issa, bras droit d’une société misogyne, corrompue, au service des puissants. À l’instar de cet homme, un homme à part puisque, en dépit de sa jeunesse, il reste, d’autres personnages seront appelés à revoir leur position dans la communauté, mais aussi, au final, leur genre, par quoi il faut comprendre, le rôle que la société leur assigne. Pour incarner ces êtres mouvants, il fallait des personnalités à la fois affirmées et évanescentes, des corps réceptifs, capables d’accueillir au plus profond d’eux-mêmes le déchirement et l’absence. En amont, les acteurs, non-professionnels, ont été castés sur les lieux même destinés à leur personnage. À leur propos, la réalisatrice déclare : « Je choisis des personnes qui, sans le savoir, sont déjà des personnages, et surtout, qui connaissent ces personnages mieux que moi. » Tourné en wolof, qui n’est pas la langue maternelle de Mati Diop, Atlantique est une émanation de ces êtres-là et des lieux qu’ils habitent.

Atlantique de Mati Diop - inspecteur Issa
Issa (Amadou Mbow)

Par l’entremise de ces personnalités mi-réelles mi-fictives ou, pour le dire mieux, révélées (dès lors que la parole leur est rendue), s’ouvre une subjectivité diffuse, partagée – à la première personne du pluriel. Atlantique se regarde de l’intérieur, comme un rêve venu d’ailleurs qui aurait trouvé le chemin de notre inconscient, une hantise. Effet de torpeur ? Défaillance de la vision ? Les ambiances sonores éthérées de Fatima Al Qadiri, musicienne d’origine koweïtienne basée à Berlin viennent appuyer l’intensité minimale d’une lumière qui, variant en grain et en texture, se donne sur une palette allant du rose-orange au gris argenté en passant par des coulées de scintillements verts qui, la nuit, dansent sur le corps affligé d’Ada. État d’hypnose sur lequel l’océan insiste, de toute son étendue massive, inquiétante, outrageusement désirable. Quoique l’effroi comme le délire puissent devenir les éléments d’un discours, il peut être glaçant de s’arracher d’une telle force d’envoûtement. Suivant le mouvement des grands rites initiatiques, Atlantique nous conduit avec une âpre douceur à rouvrir les yeux dans une dimension autre. Celle d’un réel élucidé, lavé de ses faux-semblants et de ses excuses, de son indifférence. Pour que la mort d’autrui nous oblige, peut-être faut-il, comme en amour, parvenir à cette extrême : se laisser posséder.



Images © Cinéart

 

 

Les Hauts de Hurlevent

And coming tempests, raging wild,
Shall strengthen thy desire - 
Emily Brontë

Le vent, puisque il est aveugle et se trame de ce qu’il trouble, prend assez naturellement l’éloquence d’un cinéma. Déraciner, chavirer, soulever sont axes de sa danse. L’insurrection aussi, et la transe : les corps sont légers, les volontés ploient, un souffle et le cœur repart. Du mouvement qu’il suscite à celui qu’on lui oppose, il possède, dépossède, envoûte. Habité parfois, de son peuple naît la hantise. Puis, écrasé, plus ras que le sol, bonne mécanique, il balaie. Cinéma : une houle sèche, dure, affolante vient doubler l’image d’un enduit qui l’agite et l’accuse. Feu froid, volontiers spectaculaire.

S’il existe un cinéma venant du vent, il arrive aussi qu’il soit issu d’un texte. Ici, une évidence :  Les Hauts de Hurlevent –  en une seule aspiration : Wuthering Heights. De la bouche à la lettre le lyrisme sert une âpreté terreuse, privée d’horizon sinon souterrain. Le paysage trace une verticale, huis-clos hermétique, d’un enfoncement. Du moins pour ce qui est du livre, l’industrie se bornant bien souvent à n’extraire des grandes œuvres romantiques qu’un jus sirupeux ou insipide. Le risque est faible, cependant, que la déception remonte jusqu’au texte tant le film qui en dérive, en son insouciance,  n’a plus avec l’original que quelques noms en partage. A ce qui est devenu la règle, et d’autant plus commune que le romantique s’évapore désormais en vocable dégradé, les exceptions sont rares et de ce fait choquantes. Mugissante, mutique, la version que nous livre à présent Andrea Arnold a pour elle la justesse requise, faut-il s’en étonner ? Avec Emily Brontë, l’affinité en effet, n’a rien d’un plaisir littéraire. Massif, taillé à vif dans une terre rude que le ciel rabaisse de tout son poids, l’être se vit primordialement comme en lutte contre sa propre chair. Ainsi la rage de Catherine Earnshaw se retrouve-t-elle, intacte, à la source du bouillonnement des héroïnes d’Andrea Arnold. L’appétit qui se manifeste dans Red Road et Fish Tank ici encore se cherche, inassouvi. Rampant, oblique, hargneux – sait-il seulement ce qu’il veut ? Il y a bien là, prégnante, l’idée d’une épreuve voire, une initiation, et cela part du ventre, redescend, larvaire. Une chose comme le vent, qui s’élève, provoque sans se donner une raison. Et cette chose opaque, visqueuse, engluée en elle-même s’exténue de rapports violents. Ni victimes ni coupables mais du sang qui se mélange, écume.

D’une terre pourrissante piétinée des mêmes envies, du même ennui, des mêmes rancœurs, il faut qu’un étranger surgisse. Heathcliff, nom qui enjambe lande et falaise. L’abrupt vient de la peau, sombre tissu de vie bâtarde et de ce fait, revigorée, qualité que la décrépitude n’excuse pas. Heathcliff incarne l’avenir, l’inconnu, la santé qui s’érige contre l’agonie, le « rien ne sera plus comme avant » qui effraie. Il n’a pas, pour dominer, à être terrible. Il n’a même pas à dominer, son pouvoir est en-deçà de lui-même, en-deçà de toute loi humaine. Il suffit qu’il diffère. Il serait doux, et droit, si cela lui était possible, et que l’état actuel des choses devait durer encore un peu. Seulement ce qui le rattache au monde finissant doit également le rejeter. Catherine Earnshaw, gouffre creusé par des siècles de pluie et de vent, est la profondeur dont il va naître à son égal. Expulsé, il disparaît et s’enrichit – pour, croit-il, mériter. Catherine, elle, change de visage, et peu importe. Rude ou lumineux, le visage reste impénétrable. De même, pauvre ou riche, Heathcliff n’acquiert aucune légitimité. Mais, d’avoir été séparés, enfin ils se font face, se reconnaissent. Si, à ce moment-là, Heathcliff n’est pas le double de Catherine, il le devient. Modelé par la fascination, brimé, exposé au ressentiment, il se laisse contaminer par le désir mortifère dont elle est faite. Jusqu’à ce que le souffle s’éteigne, ne subsiste qu’une blancheur. C’est en vertu de la rupture qu’il incarne que Heathcliff reçoit le monde en héritage.

Le récit vient dans le travail du vent comme une plainte boueuse suivie de sa cohorte : colère, galop cinglant le brouillard, fredonnements minuscules. Le chant garde ce qu’il traverse, divague et cristallise, échos d’un tumulte qui ne demande nulle consolation.

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Andrea Arnold, Wuthering Heights (2011)

Le désir et son corps d’imposture

 « … mais peut-être avons-nous toujours désiré que la personne aimée ait une existence de fantôme. »
Adolfo Bioy Casares, L’Invention de Morel.

« … seuls les menteurs inspirés sont convaincants, eux seuls perçoivent le pouls de la vérité… »
Andrei Tarkovski, « De la figure cinématographique », Positif n°249, décembre 1981.

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Adolfo Bioy Casares, l’ami de Borges, raconte qu’un homme, poursuivi par les autorités de son pays, croit trouver refuge sur une île secrète et rencontre là son plus grand tourment. En effet, il tombe amoureux. L’objet de sa passion est une jeune femme classiquement belle, distante bien entendu, inaccessible. Inaccessible, car dépourvue d’accès. Tour à tour elle apparaît  comme une menace, un risque, un appel. Indifférente peut-être mais si proche que son amoureux transi s’imagine presque la frôler,  la saisir, telle une sensation qui ne saurait décevoir. Jusqu’à ce qu’il découvre ce qu’elle est : une image parmi les images.

Si l’on s’arrête à présent sur cette érotique de l’image  –  à laquelle le texte ne se résume aucunement, mais L’Invention de Morel ne manque ni d’exégèse ni de postérité – on se tient alors au seuil du sensible, à cette limite où l’image demeure image, éternité vaine, icône immatérielle, immuable. Que peut-il se passer au-delà de cette limite ? Si l’image prend vie ? Que peut devenir un désir qui se réalise ? Ni tel qu’imaginé ni tout-à-fait différent, il ne correspond plus. Une coïncidence trop exacte devrait signaler qu’il y a eu tromperie, ou trahison ; est monstrueuse toute apparition qui se donne comme le calque d’une image intime – voire inconsciente -, celle-ci devant être – et demeurer – secrète. Dès lors qu’il se réalise, s’incarne, le désir est-il encore lui-même ou, à la limite, ne peut-il être qu’une imposture ?

A partir de là, autant se replier sur le cinéma. S’insinuer dans la spirale de Vertigo sur les traces d’un fantasme, de son double en sursis et d’un homme qui ne sait ce qu’il aime. Plonger dans les méandres océaniques de Solaris, planète o combien profuse qui, fouillant les mémoires, en retire une matière propre à créer des simulacres. Dériver enfin auprès de La Sirène du Mississipi : préférer l’imposture à l’original, choisir l’exil et l’errance, horizon suffisamment vague.

L’imposture prend nom et apparence d’une morte. Comme s’il était entendu que ce fond mystérieux d’où elle vient, pour moitié seulement, imaginaire, ne devait jamais voir le jour. Ou, plus obscurément : ne devait jamais être vu. Nulle rivalité entre l’originale et son double, plutôt le jeu d’une mécanique inexorable. L’exclusivité. Peu importe de qui elle prend la place, du moment que, justement, la place lui revient à elle seule. La mort, le crime parfois, engagent la remplaçante à se considérer comme unique. Cette succession est tout autant une négation. L’amoureux part-il perdant ? C’est-à-dire, privé de la vérité de son désir ? Encore faudrait-il que le désir soit univoque.

Lorsque le voyageur de Solaris songe à son épouse défunte, il songe aussi à sa mère ; toutes deux dans son souvenir se confondent. Avec Tarkovski, il y a toujours un peu de la mère dans l’épouse et un peu de l’épouse dans la mère (dans Le Miroir les deux personnages fusionnent en une seule actrice). L’héroïne de Solaris présente quelque chose de liquide, qui rappelle visuellement son origine – océanique, amniotique – : chevelure ondoyante, vêtements vaporeux, regard grisâtre, mélancolique. Dans La Sirène du Mississipi, on pourrait croire que le désir de Louis est unanime. Après tout, il n’a jamais rencontré celle qu’il aurait dû épouser, à peine a-t-il échangé avec elle quelques lettres. Mais ce serait négliger l’importance d’une relation épistolaire heureuse, et la marque durable que laissent les mots dans une vie silencieuse. Et ce serait omettre qu’il en a aimé une autre. Du sentiment Louis ne connaît que le versant passionnel, nul doute que sa flamme encore vive n’aille au-devant de celle qui lui succède. Dans Vertigo, Scottie s’éprend d’une Madeleine déjà morte, c’est-à-dire qu’il désire l’idée de Madeleine telle que Judy l’incarne. Son vertige pourrait être la traduction bienséante d’un désir nécrophile, mêlant fascination morbide et impuissance.

A cette ironie du désir qui ne se reconnaît pas, l’image peut faire un clin d’œil en guise de commentaire. Ce pourrait être une légère mise en abyme, le film qui se regarde par la lucarne de la peinture. Mis en exergue dans Vertigo, le portrait de la suicidée conforte Scottie dans son aveuglement. La vérité de son désir (image morte) lui glisse du regard qui retombe sur Madeleine. Il perçoit bien la valeur testimoniale du portrait, mais son sens lui échappe. Des correspondances qu’il établit, non sans fierté, entre la peinture et celle qu’il prend pour Madeleine, ne résultent qu’un enfoncement dans le fantasme : fétichisme de la coiffure, du regard, du bijou. Cette objectivation perverse donnera lieu, un peu plus tard, à la saisissante transformation qu’il imposera à Judy pour qu’elle reprenne son apparence de faussaire. En revanche, dans Solaris, les tableaux longuement filmés, les photographies et les films-souvenir on un effet inverse : plutôt que des preuves, ils produisent l’évidence d’une représentation continue qui annule tout espoir de saisir le vrai. Le monde visible,  reculant jusqu’à l’indistinction, finit par sombrer et disparaître. Plus anecdotiques, quelques dessins extraits de Blanche Neige déclenchent des aveux dans La Sirène. Mais, avec Truffaut, ce sont aussi les mots qui fonctionnent comme des images. Louis décrit le visage de Marion :

« Je sais que tu n’aimes pas que je te dise que tu es belle. Tu crois toujours que j’exagère. Attends. Je vais t’expliquer. Attends. (Elle : je t’attends). Je ne vais plus parler de ta beauté. Je peux même te dire que t’es moche si tu veux. Je vais essayer de te décrire comme si tu étais une photo, ou une peinture. Tais-toi… Ton visage, ton visage est un paysage. Tu vois, je suis neutre et impartial. »

La peinture possède forme et consistance, elle ne plaide pas pour le spirituel du désir mais pour la chair compliquée dont il procède. La peinture, a fortiori filmée, laisse affleurer la pâte pigmentée et la caresse du pinceau, et c’est bien ainsi que Louis regarde Marion : en la caressant des yeux. On aurait tort de rabattre le drame du désir sur le duel éculé matière/esprit. Le désir n’est pas une icône, mais une poussée vitale, et s’il s’enracine dans un souvenir, s’il se gorge d’images, la mémoire, l’imagination même sont troubles et sensuels.

Si l’imposture est investie de ce que le désir a de plus substantiel, cette part fictive est vouée à disparaître aussi. Elle est cette fiction qui s’insinue dans la fiction pour en dénoncer la fausseté. En tant qu’autre, son importance ne cesse de croître au détriment de l’image dont elle dérive. Il suffirait qu’elle existe, qu’elle soit présente, entière ; mais elle est plus que cela : elle est amoureuse.

Du désir à l’amour, la cassure est nette, irrémédiable. Et c’est l’amoureuse qui, la première, en éprouve la violence : l’image qu’elle incarne se brise en elle,  la renvoyant à la question de sa propre identité. Dans Solaris, cette étape est traitée littéralement, face au miroir :

« Dis-moi, je lui ressemble beaucoup ? – Avant tu lui ressemblais. Maintenant c’est toi la vraie. »

L’imposture, corps transitionnel, serait précurseur d’altérité. La relation s’écrit alors comme une suite de ruptures fondatrices, celle, d’une part, de ne jamais pouvoir réduire l’autre à un désir, et, comme tel, de ne pas être en mesure de le posséder, et celle de se perdre, de se perdre comme désir. Si la valeur de l’image n’est pas d’imiter le réel, l’inverse est plus vrai encore : au réel d’excéder le désir qui l’active. La rencontre advient comme autre, toujours autre de ce qui l’a pensée, et ce n’est pas même un moyen terme entre deux mondes, c’est un ailleurs. Une planète énigmatique, un paysage blanc de neige.

Aussi, sous quelque visage que le désir devenu autre se montre, exige-t-il qu’on y consente, car il en va de cette reconnaissance comme de son identité première, comme de sa condition même de possibilité. Décevant, il répugne ; étrange, il fascine. Cette duplicité, reste à savoir ce qu’elle qualifie : l’être ou le regard ? Les points d’interrogation sont eux-mêmes tellement chargés d’antagonismes qu’il faut au moins l’énigme d’une histoire pour, faute de ne rien résoudre, en faire état. Plus tard, il sera toujours temps de se demander si la rencontre, et la relation qui s’ensuit, ont une réalité autre que celle de leur propre récit.

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Références :

« Hitchcock/Truffaut », Ramsay, 1983

« Andrei Tarkovski », Antoine de Baecque, Cahiers du cinéma, 1989

« Andrei Tarkovski », Dossier Positif-Rivages, 1988

« L’Invention de Morel », Adolfo Bioy Casares, 1940

« Vertigo », Alfred Hitchcock, 1958

« La sirène du Mississipi », François Truffaut, 1969

« Solaris », Andrei Tarkovski, 1972

C’est que le monde s’est précisément effondré (l’exigence d’un rapport différent)

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« C’est que le monde s’est précisément effondré, et que seule les tient l’impossibilité, ce breuvage qui les boit, dès qu’ils y portent leurs lèvres. Ainsi seraient-ils donc éternellement séparés ? Non pas séparés ni divisés : inaccessibles et, dans l’inaccessible, sous un rapport infini.

De même, cette passion qui par sa rapidité évoque le coup de foudre de l’instant semble aussi ce qu’il y a de plus lent. Les années passent. Tout est consommé et tout dérive dans le vague de l’inaccompli. C’est sans avenir, sans passé, sans présent ; c’est un désert où ils ne sont pas là, et ceux qui les cherchent ne les trouvent que perdus, dans le sommeil de leur absence incompréhensible. Aussi dire d’eux qu’ils sont fidèles est dérisoire : pour être fidèle, il faut être uni à soi-même, il faut disposer du temps et s’engager dans le temps par le serment d’une relation réelle.

La passion se produit dans le temps, la rencontre a lieu dans le monde, cela commence et prend fin : telle est l’histoire comme on la voit et la raconte. Mais la passion, limitée selon le temps du jour, ne connaît pas ces limites dans la nuit à laquelle elle appartient.

Quand l’absolu de la séparation s’est fait rapport, il n’est plus possible d’être séparé. Quand le désir s’est éveillé de par l’impossibilité et de par la nuit, le désir peut bien prendre fin et le cœur vide s’en détourner : dans ce vide et dans cette fin, dans cette passion rassasiée, c’est l’infini de la nuit elle-même qui continue de se désirer, désir neutre qui ne tient compte ni de toi ni de moi, qui apparaît donc comme un mystère où sombre le bonheur des relations privées, échec pourtant plus nécessaire et plus précieux que les triomphes, s’il tient cachée et réservée l’exigence d’un rapport différent. »

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Maurice Blanchot, extrait-collage d’Orphée, Don Juan, Tristan, dans « L’Entretien infini » (citation non-complète)

Voir aussi : De même que dans l’amour cette illusion existe

Chambres noires, imaginaires

Xavier Dolan , « Les amours imaginaires », Canada, 2009 (durée : 1h35)

« Il est des plaisirs comme des photographies. Ce qu’on prend en présence de l’être aimé n’est qu’un cliché négatif, on le développe plus tard, une fois chez soi, quand on a retrouvé à sa disposition cette chambre noire intérieure dont l’entrée nous est condamnée tant qu’on voit du monde. » Proust, « A l’ombre des jeunes filles en fleurs. »

Cette chambre noire que Proust place au centre de l’expérience amoureuse est le lieu même de l’imaginaire. L’artiste et l’amoureux se ressemblent en ce qu’ils vivent en deux temps, temps insaisissable de l’être et temps saisi par la conscience ; leur rapport au monde est d’autant plus intense (passionné) qu’il est extension et appropriation : l’expérience devient séjour. Amorce de la connaissance ou approfondissement de la vie, elle est solitude, patience, intériorisation, secret. Dans la chambre noire tout est à disposition. Le fait de pouvoir y circuler librement, tel que l’on se sent, c’est-à-dire tel que l’on est (et non tel que l’on croit être ou pire, tel que l’on apparaît), de pouvoir se saisir des événements, les contempler, les prendre et les augmenter sans qu’ils ne sombrent ou ne s’effacent, c’est cela la dimension infinie du présent – et du plaisir. Sans se confondre à elle ni s’y réduire, cette dimension est donc également celle de l’art. Celle de la vie enrichie, de la vie sensible, de la vie intéressante parce que intéressée.

Le jeune cinéaste québécois Xavier Dolan ne cherche pas, comme tant d’autres, à démystifier l’amour, à nettoyer le réel des illusions qui (soi-disant) le ternissent, au contraire, il sait que les rêves réalisent le vécu, peau et sang, et que les comprendre, les nourrir, les compléter affermit l’expérience. Xavier Dolan ne joue pas, il se représente, être de fiction : artiste et amoureux ; son cinéma occupe la chambre noire. Cette chambre noire, où l’intime se mêle à l’universel, où le toc côtoie le précieux et où le pop s’amalgame au raffiné, est pour nous un lieu et une matière – forcément émouvants, forcément familiers. Les formes de la sensibilité composent un discours amoureux (les Fragments d’un discours amoureux de Barthes sont le livre-référence du cinéaste), et ce discours n’est pas un désengagement : il ne permet pas à l’amoureux d’être quitte de ses affres et de ses tourments, de croire qu’il peut raisonnablement ne plus aimer (c’est impossible, ce n’est pas souhaitable), mais il se donne à lui comme une jouissance supplémentaire – mise en abyme et retour à l’être. Tout comme le rêveur, se sachant en train de rêver, est prié de s’enfoncer dans son rêve,  l’amoureux est invité à s’enfoncer dans son sentiment.

Plus déchirée qu’elle ne le laisse paraître, l’esthétique* de Xavier Dolan n’est pas simplement illustrative. Le cinéaste veut être présent devant et derrière la caméra. Sur la scène principale des Amours imaginaires, on découvre un banal triangle amoureux (un homme et une femme tombent ensemble amoureux du même homme), on admire des tenues vintage, on entend des chansons pop, on collectionne les styles et les poses, on écoute des dialogues très littéraires. Ce côté extravagant est une façade aussi vraie qu’un fard : le rougissement des joues montre l’émoi. Mais, allant plus avant dans son propre discours amoureux, Xavier Dolan se heurte à sa propre représentation – l’artiste contredit l’amoureux. Tel Narcisse, il ne fusionne pas avec sa propre image : il se divise et meurt à moitié.

Les Amours imaginaires fétichisent le discours amoureux. Lecture conséquente ou trahison du texte ? Qu’importe, ce n’est bientôt plus l’autre qui est aimé – mais l’amour (avec tout ce que cela suppose de narcissisme). Parce que le flirt est facile et que l’autre paraît d’emblée si proche, la proximité est une impatience, un faux-semblant – un miroir. Elle fourvoie : les valeurs s’échangent et les sens s’inversent. La précipitation trahit l’amour, l’arrache à son énigme irrésolue, à sa source lumineuse… La proximité, qui est aussi promiscuité, brouille la relation et la séparation, elle mélange jusqu’au dégoût, jusqu’à soi. Les corps privés du sentiment ne coïncident pas, ne répondent ni au désir ni à la volupté, ne sont qu’errances carnassières de romantiques impatients.

L’artiste et l’amoureux sont toujours en défaut par rapport au monde, par rapport à eux-mêmes. Le plus tragique, le plus comique, c’est que l’imagination, loin de combler les manques, en crée de nouveaux, creuse le sillon du désir. Il faut se demander si, dans leur complaisance et leur retrait avisé, les chambres noires ne sont pas également confinées, suffocantes, noires de soi.

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* aisthanestai, en grec, signifie sentir.

Pour les captures d’écran du film c’est ici : -devenue toi comme hier-.

Précédemment sur ce blog : J’ai tué ma mère.

Photo : Mona Chokri, vraiment parfaite dans le rôle d’alter ego de Xavier Dolan.

Filles conformes

« Qui de nous deux fait le portrait de l’autre ? Vous me peignez en train de détailler votre personne sans autre outil que ma pensée. Je n’ai pas de couleur entre mes mains, mais regardez derrière mes yeux, et vous verrez. Un rire éclate sous ma robe modeste. Je me pends à moi-même. Je suis tout ce que j’ai. Et lorsque je vous regarde, je me manque. » Hélène Frédérick, La poupée de Kokoschka.

« C’est ma ville, mon quartier, mes rues et mes passants, que je regarde calmement, rassurée de les voir marcher, courir, s’arrêter, vivre une vie que je ne connais pas. De toute façon ils sont dans une image. Une image dans un cadre, dont je suis spectatrice, et que je pourrais raconter, comme on raconte un rêve, à d’autres gens qui souriront, ou pas d’ailleurs, et me donneront leur interprétation, mauvaise ou bonne. Chaque fois que je referme la fenêtre, je m’aperçois sur ce plan parmi les autres. (…) Je passe inaperçue, mais je dépose des traces de ma présence. Je vis pour ne me souvenir que des moments d’absence. » Pauline Klein, Alice Kahn.

Oskar Kokoschka, Mädchenbildnis (1913) : « Je regrette votre regard posé sur moi. La maladie doit pouvoir prendre en paix. »

Si j’envisage ces deux livres simultanément, c’est que, sur des bases narratives et temporelles distinctes, ils finissent par dire la même chose. Voire me semble-t-il : ils se renforcent. Tenus séparés, ce sont des romans astucieux, séduisants, qui ne se prêtent à l’intrusion que parce que l’on se plaît à s’y attarder. Face à face, ils se mettent à dialoguer et c’est là ce qui m’intéresse.

La question de l’existence d’Anna et de la femme-murmure ne se pose pas. Elles ont un regard, un corps, une raison d’être : elles existent. Certes, elles ne sont pas réelles. Il s’agit donc de déterminer si l’irréalité est un défaut ou une qualité. Du strict point de vue romanesque, l’irréalité devrait signifier : liberté absolue. Même s’il arrive qu’entre eux, les personnages se la disputent ou se la refusent. On ne sait plus, en ce cas, qui de l’auteur, qui des personnages, a le dessus. Les degrés d’irréalité se multiplient, se contredisent – le fin mot de cette hiérarchie demeure secret. Ainsi l’irréalité d’Anna et de la femme-murmure se trouve-t-elle mise en cause par un entourage qui lui-même n’en est pas moins irréel. Car ce qui relie les personnages dans ces deux romans n’est que  mimétisme et fantasmes. Comme dans un jeu de miroirs et de reflets, la profondeur de l’image résulte d’un effet d’optique. Et le désir qui s’y creuse est le désir d’un autre désir, qui est désir d’un autre désir, et ainsi de suite à l’infini. Là-devant deux femmes sont prêtes à donner chair au reflet, croyant encore qu’il est possible d’assouvir en substance ce qui relève de l’immatériel.

Résumé d’Alice Kahn : Anna est le fruit d’une méprise et d’une absence. Méprise du photographe qui la confond avec une anonyme assise à la terrasse d’un café ; absence de la jeune femme à elle-même. Une chance pour le photographe : l’anonyme est tout à fait disposée à devenir son Anna. Ici Lacan aurait son mot à dire : il n’y a pas d’amour, juste un désir de ressemblance. L’essentiel du consentement de la jeune femme réside dans le « devenir », et ce devenir est un jeu de rôle, un blanc à remplir, un vide à combler. Se déguiser, décorer, interpréter, se glisser, avec un naturel confondant, dans un reflet. En plus d’Anna, l’anonyme devient aussi Alice Kahn, artiste fantôme dont les performances consistent à introduire discrètement dans les salles d’exposition et dans les musées, des objets sans valeur qui, accrochés, deviennent aussitôt précieux. Alice excelle à s’adapter, parfaitement plastique, elle est la candidate idéale, l’interlocutrice attentive, l’observatrice redoutable. Le monde n’est que représentation, il suffit de trouver place dans une photographie.

Résumé de La poupée de Kokoschka : Un siècle plus tôt, le célèbre peintre Oskar Kokoschka demande à  Hermine Moos de lui fabriquer une poupée en tout point semblable à sa regrettée maîtresse Alma Malher, laquelle vient de le quitter pour en épouser un autre. Hermine, dont le métier est de coudre des marionnettes plutôt que d’élaborer des fétiches au trouble usage d’amants déçus, se prend de passion et pour la commande et pour le maître… Si pauvre qu’elle se nourrit à peine, si libre cependant, vivant seule, se prostituant avec un certain plaisir, sachant dire non à sa famille et à la société, si enfiévrée qu’elle s’abîme corps et âme à la tâche, fusionnant avec la poupée (la femme-murmure), Hermine écrit des lettres au peintre qu’elle n’envoie pas. Une intimité à la fois offerte et dissimulée. Kokoschka ne cesse d’accroître ses exigences, impose un raffinement pervers de détails, ce qu’il voudrait, c’est Alma, elle se soumet, anticipe ses désirs, attend, ne reçoit ni argent, ni reconnaissance, ce qu’elle voudrait c’est Kokoschka.

Alice Kahn est un roman espiègle, incisif et souvent drôle ; La poupée de Kokoschka se prend davantage au sérieux, au tourment même. Sombre ou frivole, l’un et l’autre laissent transparaître une impatience qui n’est pas celle de leurs héroïnes équivoques – lesquelles ont pour le moins l’excuse du désir – mais qui est hâte de conclure, étranglement du sujet. C’est ainsi que ces livres déçoivent. Une fois posé l’enjeu, la mécanique se déploie de manière trop régulière et ostensible, ce qui précipite l’intrigue dans un épuisement de surface. Tandis que forme et contenu se soumettent au jeu des miroirs, une grande part du potentiel romanesque demeure hors-champ, inexploité.

Il arrive toutefois que le texte s’échappe miraculeusement du prisme réflexif. Ces heureuses digressions prennent alors valeur de symptôme. Dans Alice Kahn, il s’agit de petits forfaits artistiques qui viennent agréablement interrompre le développement attendu de l’imposture. Dans La poupée de Kokoschka, les peintures de Kokoschka prennent la parole, se désolidarisent de leur représentation. Dommage que l’impact de ces détours soit invalidé par leur récurrence et leur placement systématique en tête de chapitre. Ces exercices de style brillants auraient gagnés à se fondre dans le texte, auraient pu le nuancer, le transporter hors de ses limites trop étroites.

Car c’est bien là le regret que l’on éprouve en lisant ces histoires, celui de retrouver inchangé le schéma du couple créature-pygmalion, à ceci près que les rôles sont inversés et qu’il est, de fait, consenti. La jeune femme décide de devenir créature, de se faire l’écho d’un fantasme dont elle connaît pourtant la désespérante irréalité. Inutile de préciser que sous cet angle de vue réducteur, le vis-à-vis masculin ne gagne pas en profondeur. L’accent est mis sur le jeu relationnel, qui est un jeu de reflets tour à tour nourri de désir et appauvri par l’impasse du désir. Traversant les apparences sans y prendre chair, les personnages  ne sont que vecteurs fades, inconsistants. Rien ne me paraît plus affligeant que d’utiliser les ressources de l’imagination à seule fin de l’enfermer dans une image qui, de surcroît, se trouve elle-même forclose dans un fantasme. Alice Kahn et La poupée de Kokoschka échelonnent les degrés d’irréalité à seule fin d’en réduire la portée imaginative. Trop de projections, pas assez d’amplitude.

« Ne pas laisser de traces terrestres, que mes doigts travaillent comme vous glissez en serpent dans les failles de ma vie, c’est-à-dire imperceptiblement, sournoisement, un soupçon d’hypocrisie, pour laisser croire, tromper. Dans les craquelures, fêlures de mon existence, des êtres rampants, friands d’œufs crus (ces embryons au sein desquels la vitalité se concentre), que nos flèches n’atteignent jamais, à moins que ce ne soit en apparence. Le serpent verse des larmes de solitude, pourtant ce désert est l’œuvre de sa pauvre langue, muscle toxique. » Hélène Frédérick, La poupée de Kokoschka.

« J’inventais des artistes aussi. Parmi eux, Alice Kahn revenait souvent. Elle était adaptable à merci. Si le magazine titrait Immatériel, je racontais qu’Alice Kahn s’était appropriée des droits d’auteur sur le silence. Dans un numéro qui annonçait Artistes de l’éphémère, je racontais qu’Alice Kahn faisait des parties de golf avec un glaçon jusqu’à ce qu’il fonde. Si on me demandait de parler du corps, thème qui revenait souvent, je lui prêtais des petites performances avec de l’électricité, et une exposition de ses mains abîmées. Alice Kahn se faufilait partout, là où les choses ne pouvaient plus être décrites. Une photo d’Alice Kahn, c’était une photo que l’on n’avait pas pu prendre. Une douleur à la Alice Kahn, une douleur diffuse et inexplicable. Un coup d’Alice Kahn je disais, lorsqu’il se mettait à pleuvoir alors qu’on avait prévu quelque chose dehors. Un silence, un hasard à la Alice Kahn. » Pauline Klein, Alice Kahn.

Oskar Kokoschka, La fiancée du vent (autoportrait avec Alma Mahler), 1913 « Quelque chose comme une tempête, voilà, un grand vent : ce que je suis. »

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En contrepoint, une fille pas du tout conforme (et pas très loin non plus d’être dans une peinture).

Pauline Klein, Alice Kahn, Allia, 2010.

Hélène Frédérick, La poupée de Kokoschka, Verticales, 2010.

Si tu souris c’est pour mieux m’envahir

Capitale de la douleur par Anna Karina dans Alphaville« Tes yeux sont revenus d’un pays arbitraire où nul n’a jamais su ce que c’est qu’un regard »

Capitale de la douleur par Anna Karina dans Alphaville 4« – Amoureux ? Qu’est-ce que c’est ?

– Ça.

Alphaville 15– Non, ça je connais ; c’est la volupté.

Alphaville 18– La volupté est une conséquence, elle n’existe pas sans l’amour.

– Alors l’amour, c’est quoi ?

Alphaville 14

Ta voix, tes yeux, tes mains, tes lèvres, le silence, nos paroles, la lumière qui s’en va, la lumière qui revient, un seul sourire pour nous deux, pas besoin de savoir, j’ai vu la nuit créer le jour sans que nous changions d’apparence, ô bien aimée de tous et bien aimée d’un seul, en silence ta bouche a promis d’être heureuse, de loin en loin dit la haine, de proche en proche dit l’amour, par la caresse, nous sortons de notre enfance, je vois de mieux en mieux la forme humaine comme un dialogue d’amoureux, le cœur n’est qu’une seule bouche, toutes les choses au hasard, tous les mots dits sans y penser, les sentiments à la dérive, les hommes tournent dans la ville, le regard, la parole et le fait que je t’aime, tout est en mouvement, il suffit d’avancer pour vivre, d’aller droit devant soi, vers tout ce que l’on aime, j’allais vers toi, j’allais sans fin vers la lumière, si tu souris, c’est pour mieux m’envahir, les rayons de tes bras entrouvraient le brouillard. »

Alphaville 4

Alphaville 2

 

Photos et dialogue d’ « Alphaville », de J. L. Godard, avec Anna Karina et Eddy Constantine, 1965

Texte d’après Eluard, « Capitale de la douleur ».

Alphaville 19

(Le poète) à l’ombre de la jeune fille en fleur

Un trouble sans lendemain, une émotion réfléchie, dont nulle promesse ne découle,  nulle attente, un désir à saisir – dans l’instant.  Ensemble, ils ont la sagesse vive des jeunes gens, l’intuition triomphale, la capacité de sentir sans savoir, de comprendre sans connaître. Contre le temps ils ont l’intensité, contre la finitude ils n’ont rien. Dans leur jardin les saisons se surpassent, énoncent des symboles ; pour eux seuls la nature se raconte, s’émerveille de fleurs et d’herbes douces, de neige laineuse, de pluie soyeuse ; dans leur forêt les arbres ombrent le silence qui dérive des lèvres éprises. Entre la rencontre idéalement banale et la séparation des corps non des âmes, ils auront échangé, mieux que vains vœux sacrés, savoirs et langages. Et désormais  lui, concret de fièvre,  froisse l’étoffe la laissant respirer, entre ses doigts crisser ; désormais  elle, dans sa solitude encore habitée, prononce ses mots à lui. Ensemble ils forment et figurent la poésie, et celle qui se traîne auprès d’eux n’est que trace appauvrie de  ce qu’elle doit être, de ce qu’elle est quand elle se met à exister –  l’infini à la place du vide,  l’image à la place de la pensée, le cri à la place du verbe, l’extase à la place de la chair.

Pour les amoureux de la poésie :  Bright star de Jane Campion,  avec Abbie Cornish et Ben Whishaw (USA, Angleterre, Australie, 2006 – durée : 1h59)

Filmographie de Jane Campion à la médiathèque